Des écolières dans le sud du Népal. | Photo : UNFPA.

On l’appelle la « génération ODD » : celle qui devrait jouer un rôle majeur dans la réalisation des objectifs de développement durable des Nations unies, dans les domaines qui concerne tous ces jeunes : éducation, santé, croissance économique, environnement. En 2030, échéance fixée pour ces dix-sept objectifs planétaires, adoptés le 25 septembre 2015, ces jeunes auront juste passé le cap des 25 ans.

Et ils n’ont jamais été aussi nombreux. Dans un rapport sur « L’état de la population mondiale 2016 », présenté jeudi 20 octobre, le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) estime à 125 millions le nombre d’enfants âgés de dix ans, dont 65 millions de garçons et 60 millions de filles. Un chiffe en constante progression, si l’on rapporte le chiffre actuel de 1,8 milliard d’habitants de la planète dans la tranche des 10-24 ans (sur un peu plus de 7 milliards) au milliard en 1970.

C’est sur les filles que l’organisation onusienne a décidé de centrer l’édition 2016 de son rapport sur la démographie mondiale. Pourquoi elles ? « Elles représentent un idéal pour mesurer les progrès enregistrés dans la réalisation de l’agenda mondial pour 2030, un indicateur sur les thèmes essentiels que sont l’égalité entre les sexes, l’accès à l’école, à la santé, la lutte contre la pauvreté, le bien-être », explique Benoît Kalasa, directeur à l’UNFPA. Autrement dit par le secrétaire général adjoint des Nations unies et directeur exécutif de l’UNFPA, le docteur Babatunde Osotimehin : « La manière dont nous investissons dans les filles âgées de 10 ans, et les soutenons aujourd’hui, déterminera le visage de notre monde en 2030. »

« A dix ans, elle peut devenir une marchandise qui se vend »

Et l’intérêt de ce rapport 2016, outre de rappeler l’inégalité criante qui caractérise la situation de ces jeunes filles, surtout dans les pays les plus pauvres où elles sont encore plus vulnérables, est de démontrer comment leur garantir une formation, une bonne santé représente un gain pour l’ensemble de la société. Plus encore s’agissant des filles que des garçons.

A la base, explique l’UNFPA, neuf filles sur dix, âgées de 10 ans, vivent dans les pays en voie de développement, une sur cinq dans les pays les plus pauvres. « Les filles ont une moindre chance que les garçons d’achever leur scolarité et courent un plus grand risque de subir un mariage forcé, le travail des enfants, les mutilations génitales et d’autres pratiques destructrices », écrivent les auteurs du rapport. C’est à cet âge que le monde peut basculer pour une fille : « Dès l’âge de dix ans, elle peut être mariée de force, être retirée de l’école pour commencer une vie consacrée à faire des enfants et à servir son mari ; à dix ans, elle peut devenir un bien, une marchandise qui se vend et qui s’achète », insiste le Dr. Babatunde Osotimehin.

Témoignages et indicateurs, rassemblés à partir d’études nationales ou internationales, témoignent de cette réalité tout au long du document. L’UNFPA rappelle ainsi que selon l’Organisation internationale du travail, 10 % des filles âgées de 5 à 14 ans consacrent au moins 28 heures par semaine aux tâches ménagères, « soit deux fois plus de temps que les garçons du même âge ». Et les trois quarts d’entre elles qui travaillent dans une entreprise ou des exploitations agricoles familiales ne sont pas rémunérées (10 % de plus que les garçons).

La multiplication des catastrophes naturelles, le changement climatique, les conflits, aggravent la situation de ces jeunes filles, indiquent les auteurs, car l’Etat de droit et la protection normalement assurée par la famille et la communauté peuvent avoir disparu.

« Au Bangladesh, les inondations et autres catastrophes naturelles ont constitué les principaux facteurs motivant la pratique néfaste du mariage d’enfants. Dans ce pays, près d’une fille sur trois est mariée avant l’âge de 15 ans [rapport de Human Rights Watch, 2015]. »

Des jeunes filles au Vietnam. | Photo : UNFPA.

Un gain de près de 20 milliards d’euros

Ces données sont connues pour la plupart, mais l’UNFPA a choisi d’aborder la situation de ces filles de 10 ans sous l’angle de l’investissement positif que représentent les politiques leur assurant un bon parcours éducatif, une protection sanitaire, etc. « Sur les quinze prochaines années uniquement, l’ensemble des pays en développement pourraient gagner ou perdre 21 milliards de dollars [19,1 milliards d’euros] selon qu’ils décident ou non d’investir dès aujourd’hui dans le bien-être, l’éducation et l’autonomie de leurs filles de dix ans », précise l’organisation.

Scolarisée plus longtemps, dotée d’un niveau culturel et d’une formation plus poussée, mieux soignée, plus autonome, la petite fille devenue jeune femme se mariera et aura des enfants plus tard, contrôlera mieux sa fécondité, détaillent les auteurs. « Au Maroc ou au Costa Rica, par exemple, une fille de dix ans instruite et en bonne santé aura gagné environ 30 000 dollars [27 330 euros] de plus lorsqu’elle atteindra 25 ans, qu’une autre qui n’aura pas terminé ses études secondaires et sera en mauvaise santé. » Augmenter la part des femmes dans la population active représente alors un avantage économique pour le foyer comme pour le pays.

Plus qu’un constat, le rapport 2016 sur la population mondiale se veut un encouragement aux 193 chefs d’Etat et de gouvernement ayant adopté les ODD. « On ne leur dit pas seulement d’intensifier leurs politiques en faveur des droits humains, on leur démontre où ils doivent investir pour avoir des retours économiques et sociaux », précise Benoît Kalasa.

Rosita (Albanie), Ortilla (Guatemala), Tuong Anh (Vietnam), Aditi (Bangladesh) ou encore Temawelase (Swaziland) expriment toutes, à dix ans, leurs rêves et leurs aspirations de futures jeunes femmes. « A bien des égards, c’est à l’aune du parcours de vie de ces filles de dix ans que l’on saura si le programme, à l’horizon 2030, [les ODD] est une réussite, ou un échec », conclut le directeur exécutif de l’UNFPA.