Dans la partie nord de la « jungle » de Calais, lundi 17 octobre. | Stéphane LAGOUTTE / MYOP

C’est une opération inédite en France. L’évacuation des 6 400 migrants de la « jungle » de Calais, qui doit commencer lundi 24 octobre à l’aube, équivaut au démantèlement d’une véritable petite ville. L’Etat s’est donné une semaine pour y parvenir. Lundi matin, les premiers autocars devraient quitter Calais tous les quarts d’heure à partir de 8 heures, afin que plus de 2 400 personnes quittent le bidonville dès le premier jour. La noria des bus ne s’arrêtera que le soir avec le départ du 60véhicule. Au fil de la semaine, les 6 400 exilés qui campaient aux portes de l’Angleterre seront répartis dans toutes les régions de France, hors la Corse.

Loué pour l’occasion, un hangar de 3 000 m2 situé à 300 mètres de la jungle sera le théâtre des opérations. A l’entrée, « les migrants seront séparés en quatre files : les hommes seuls majeurs, les mineurs isolés, les familles et les personnes vulnérables », rappelle la préfète du Pas-de-Calais, Fabienne Buccio, à la tête des opérations.

« Bracelet de couleur »

« Chaque personne se présentera à un guichet géré par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), où elle choisira entre deux régions et se verra remettre un bracelet dont la couleur indiquera sa destination. Puis elle se rendra sous la tente spécifiquement réservée à son départ. Un bus garé quelques rues plus loin arrivera dès que 50 migrants seront réunis sous une même tente et l’embarquement se fera immédiatement », a prévu Mme Buccio. Le centre de commandement, situé sous le même hangar, contactera alors le préfet de la région concernée pour qu’il puisse anticiper l’heure d’arrivée dans son centre d’accueil et d’orientation (CAO).

Avant, chaque migrant aura dû décliner son identité, sa date de naissance et sa nationalité, mais « aucun examen de la situation administrative n’aura lieu là », assure l’entourage du ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve. Ce qui signifie que même les migrants sous le coup d’une obligation de quitter le territoire (OQTF) seront bienvenus dans le bus.

Depuis la rentrée, la préfète du Pas-de-Calais se concentre sur ce défi. Dès qu’elle a su que les heures du plus grand bidonville de France étaient comptées, avant que l’information ne soit rendue publique le 2 septembre, elle a installé trois groupes de travail. « L’un sur l’organisation des opérations, le second sur leur sécurisation et le dernier sur le “nettoyage” du terrain », raconte-t-elle. Depuis lors, les trois groupes creusent leur sujet chaque mardi après-midi, avant que le vendredi matin Mme Buccio les réunisse tous en plénière, pour prendre en compte les avancées, mutualiser l’information et lancer les chantiers suivants.

Résistance au départ

Derrière ses murs en pierre de taille tricentenaires, l’hôtel particulier de la préfecture d’Arras a vécu la vie agitée d’un quartier général depuis début septembre. Toutes les informations ont convergé vers le bureau de la préfète, avant de redescendre sur le territoire, en accord avec Bernard Cazeneuve, qui a suivi le dossier de très près.

Les visioconférences avec le cabinet du ministre et les préfets de région ont ponctué les semaines, trouvant place entre les réunions, les visites de terrain et les allers-retours avec les autres chevilles ouvrières de cette opération. « L’OFII et la sécurité civile ont organisé le transport. La Direction générale des étrangers de France (DGEF) a centralisé les places en centres d’accueil et d’orientation (CAO) qu’ont fait remonter les régions », ajoute Delphine Brard. La Mme CAO de la préfecture a été la chef d’orchestre des 6 400 départs. « Après un premier jour où nous essaierons de faire partir tous les volontaires, vers toutes les régions de France, nous devrions affréter 45 bus le mardi, 40 le mercredi », explique celle qui a tout prévu, des trajets à suivre par les chauffeurs, aux arrêts pipi et aux pauses déjeuner, pour que chaque fois la police ou la gendarmerie locales soit présente sur les lieux.

La « jungle » de Calais en août. | PHILIPPE HUGUEN / AFP

C’est l’OFII qui a trouvé les quelque 170 bus nécessaires pour disperser, partout sur le territoire, Soudanais, Afghans et Erythréens massés depuis des mois à Calais. « Chaque véhicule comptera deux accompagnateurs et sera équipé d’un système de géolocalisation », complète Didier Leschi, son directeur général. Certains estiment que c’est le moyen d’éviter les fuites dans la nature à la première pause, d’autres y voient simplement une façon pour les préfectures et les CAO de savoir à quelle heure arriveront leurs hôtes.

Personne ne sait prédire si la résistance au départ sera forte ou marginale. Les 1 250 policiers mobilisés en plus des 2 100 agents déjà présents à Calais auraient ordre de laisser sortir les migrants qui veulent quitter la jungle par leurs propres moyens. Le ministère dément avoir réservé des places en centre de rétention administrative (CRA) pour les récalcitrants qui refuseraient de renoncer à leur rêve de Grande-Bretagne. Mais la Cimade a observé qu’« à Hendaye, Strasbourg et Plaisir, trois CRA jusque-là fermés ont rouvert leurs portes en prévision de cette opération de démantèlement. Ils représentent une centaine de places, auxquelles s’ajoutent plus de 200 autres réservées dans tous les CRA de France métropolitaine ».

« Période transitoire »

La direction des étrangers du ministère de l’intérieur reconnaissait tout de même jeudi 20 octobre, en restant très floue, que « des contrôles d’identité pourront être opérés ainsi que des placements en rétention administrative ». En octobre 2015, l’opération menée pour réduire la présence des migrants à Calais avait conduit à un millier de placements en rétention. Des enfermements assez aléatoires pour que 95 % des victimes en soient rapidement libérées par les juges et pour que le contrôleur des lieux de privation de liberté condamne la méthode.

Pour cette évacuation promise avant la fin de l’année, les préfectures ont été beaucoup sollicitées. Le ministre de l’intérieur a en effet sommé ses préfets de région de trouver des lieux d’hébergement. Ces derniers ont fait redescendre la demande aux préfets, qui ont répertorié les bâtiments vides aménageables rapidement en centre d’accueil. Les 280 lieux trouvés sont un à un remontés à la DGEF, qui a piloté la constitution de ce parc, en lien avec le cabinet du ministre, les préfectures, les opérateurs, afin de pouvoir proposer une liste cohérente à Mme Buccio. L’objectif de 9 000 places n’a pas été atteint, le compteur s’est arrêté à 7 500. Ce qui devrait suffire pour Calais, puisque près de 2 000 migrants ont déjà quitté le lieu, en prévision du démantèlement – sans doute parce qu’ils ne veulent pas demander l’asile en France – et que les 1 291 mineurs de la jungle ne prendront pas de bus.

Sur ce dossier épineux, « les négociations avec les Britanniques se poursuivent », insiste le cabinet de Bernard Cazeneuve. Depuis le début de la semaine, 52 mineurs ont été autorisés à traverser la Manche pour rejoindre un membre de leur famille installé au Royaume-Uni, et 300 dossiers sont en train d’être étudiés par Londres. Le premier jour du démantèlement, tous les adolescents qui se présentent seront orientés vers les conteneurs du centre d’accueil provisoire (CAP). Ils resteront là deux semaines avant d’être envoyés pour « une période transitoire » vers des centres d’accueil et d’orientation (CAO) spécialement prévus pour eux, avec un dispositif d’accompagnement renforcé.

Si les Britanniques refusent de les accueillir, ils rejoindront ensuite le dispositif français de prise en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) et seront répartis dans les départements petit à petit. La France aimerait non seulement que les Britanniques les prennent tous, mais qu’ils acceptent l’ouverture d’un corridor pérenne pour la réunification familiale. En parallèle, M. Cazeneuve plaide aussi pour que les femmes de la jungle qui ont un époux en Grande-Bretagne puissent y entrer légalement. Si, sur le premier dossier, l’Angleterre accueille au compte-gouttes, certes, mais accueille quand même, sur le second, on est au point mort.

Une fois ce démantèlement terminé, il restera à éviter que de nouveaux campements se reconstituent dans cette zone qui en a toujours connu depuis l’aube des années 1990. Bernard Cazeneuve a chargé le préfet Jean Aribaud et le président de l’Observatoire national de la pauvreté, Jérôme Vignon, déjà auteurs d’un rapport sur Calais, de lui faire des propositions sous dix jours. Si le déplacement ailleurs en France des conteneurs du CAP pour offrir un lit aux migrants est à l’étude, la réponse sera surtout sécuritaire, avec présence de forces de l’ordre à Calais « pour empêcher l’installation de squats », rappelle la préfète, mais aussi dans le Calaisis, à la frontière belge et à la frontière italienne.

« Ça plaît à l’opinion, mais on n’est pas près de juguler les passages à pied par la montagne à Menton », remarque un associatif calaisien, bien plus dubitatif sur l’après-Calais que sur le démantèlement.

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