Si Bili Bidjocka est une âme solitaire, qui aime « pratiquer l’esthétique de la disparition » et s’envoler sur un coup de tête en Amazonie ou en Guyane française sans prévenir ses proches, il n’est pas pour autant un homme seul. Et l’histoire de P.I.E.T.À. Le Plan prend forme, proposée du 13 octobre au 13 décembre par la galerie MAM à Douala, le démontre. L’exposition est née de la rencontre de trois personnalités devenues amis intimes : le plasticien Bili Bidjocka, donc, le commissaire de l’événement et curateur désormais incontournable Simon Njami, et la fondatrice du lieu, Marème Malong. Plus que des acolytes, des frères et sœurs, sur qui la mère de l’artiste porte un regard bienveillant.

« Maman », cinq lettres qui accueillent le public. Cinq lettres façonnées avec la terre que Bili Bidjocka est allé recueillir au pied de la bâtisse qui l’a vu naître à Bonanjo, à Douala, en 1962, et qu’il a soufflé, littéralement, sur le mur de la galerie que Marème Malong a fondée avec son héritage maternel. Cinq lettres qu’accompagne, entre autres, un texte que Simon Njami a écrit au retour des funérailles de sa mère à lui et qui salue celle qui a enfanté deux fois Bili Bidjocka. Lors du jour de sa naissance et lorsque une vingtaine d’années plus tard, elle lui envoie à Paris, où il vit, le dessin d’une pietà.

Retour aux racines

Quelques lignes accompagnent l’image : « Qu’est-ce que tu en penses ? Je trouve ça intéressant ». Rien de plus. Le croquis ne quittera plus l’artiste, qui le conservera indemne malgré l’incendie qui ravagea sa maison bruxelloise. Bili Bidjocka l’a fait sien et le présente sous différentes formes dans cette exposition. C’est alors que sa mère lui révèle qu’elle en est l’auteure. Il ne s’agit pas d’une reproduction. Elle l’a exécuté « dans un endroit particulier qui l’a inspiré ». Bili Bidjocka refuse d’en dire plus, pudique. Il souhaite conserver cette part d’intimité. « Je me suis toujours demandé d’où pouvait venir mon intérêt pour l’art. La réponse est là », confie celui qui apprend par la même occasion que son père, haut diplomate, énarque, avait été aussi musicien.

Une salle de l’exposition « P.I.E.T.À. Le Plan prend forme », à la galerie MAM, à Douala. | Zacharie Ngnogue

Cette exposition a été conçue comme un retour aux racines, à ce qui fonde l’œuvre poétique d’un plasticien que l’on peut voir aussi bien à Venise qu’à Dakar, New York ou Johannesburg. Bili Bidjocka dit avoir ressenti sa première expérience artistique, qui se confond avec celle du divin, lors d’une messe donnée à la cathédrale de Douala où, enfant, il se rendait avec sa mère. « Le soleil est venu irradier l’hostie que tendait au-dessus de sa tête le prêtre. De mes yeux de gosse, j’ai cru que c’était Dieu. J’essaie de retrouver cet instant. »

Aussi, fasciné par l’architecture de la galerie MAM, faite de courbes et de lignes droites, a-t-il entrepris de s’approprier le lieu, comme il aime le faire habituellement, et de le transformer en cathédrale, faisant de ses vitres des vitraux par un jeu de couleurs et jouant avec la hauteur de plafond en suspendant trois de ses robes immenses, qui reviennent immanquablement dans son travail.

Un « labyrinthe où il fait bon se perdre »

Des robes telles qu’un enfant pourrait se les représenter, conçues ici comme « trois maternités, pour Simon, Marème et moi », explique Bili Bidjocka, et confectionnées dans trois teintes différentes – rouge, or et noir. Trois teintes que l’on retrouve, à travers les essences de bois (padouk, bilinga, bété) utilisées pour ses différentes installations, tout au long de l’exposition, conçue comme une promenade au cœur d’un « labyrinthe où il fait bon se perdre ». On y découvre un pédiluve, qui oblige le visiteur à « être vigilant » et à sortir de sa passivité pour accueillir le travail artistique de celui qui s’est formé aux Beaux-Arts de Paris.

Dans l’eau, se reflète l’image du « voyageur léger » que l’on peut également découvrir jusqu’au 24 décembre à la fondation Donwahi à Abidjan, à l’occasion de l’exposition Where is Bili ?. Un « voyageur léger », double de l’artiste, qui nous dit que « la peinture est morte, comme le latin est une langue morte. Nous sommes passés à autre chose », défend celui qui ne s’est jamais senti à l’aise au Louvre, musée qui a exclu de sa collection les artistes noirs.

P.I.E.T.À. Le Plan prend forme, jusqu’au 13 décembre à la galerie MAM, rue Tobie Kuoh, Bonanjo, Douala.

Where is Bili ?, jusqu’au 24 décembre à la fondation Donwahi, boulevard Latrille, face à l’église Saint-Jacques, Abidjan-II Plateaux.