Xavier Fender a commencé à réflechir à son projet agricole en 2011, après la naissance de son fils. | MM

Les premiers matins d’automne sont vifs à Sancy-les-Provins (Seine-et-Marne). Un vent persistant bat les champs et les joues rougies de Xavier Fender. D’un geste agile, le jeune homme élancé vêtu d’une simple chemise à carreaux grimpe dans son tracteur et manœuvre jusqu’aux lignes de batavias et de feuilles de chênes. Là, muni de son couteau, il coupe délicatement le pied de chaque salade – il y en a quatre-vingt-dix – laissant de côté celles « qui ont monté » et qui ressemblent à des petits arbustes.

A le voir exécuter avec précision ce geste, impossible de deviner que Xavier Fender est ce que Gaspard d’Allens et Lucile Leclair, auteurs d’un livre éponyme (Seuil, 2016), nomment « les néo-paysans ». Ces jeunes, et parfois moins jeunes, le plus souvent urbains, n’ont aucun ancrage familial dans la paysannerie. « Ils sont 30 % chaque année à s’installer, soit deux fois plus qu’il y a dix ans », notent-ils. Leur livre retrace une année consacrée à la rencontre de ces informaticiens, juristes, fonctionnaires, ouvriers venus faire leur « retour à la terre », pétris de fantasmes et d’idéaux sur la paysannerie.

Néo-paysans, néoruraux, les mots font sourire Xavier Fender, l’ex-ingénieur paysagiste reconverti en maraîcher. « J’ai bien conscience que mes études, mon milieu social et mon origine parisienne font de moi la quintessence du bobo ! Mais après tout pourquoi pas ? », plaisante-il, entouré de ses quatre hectares de terres et de la forêt qui les ceint.

Muni de son couteau, Xavier coupe délicatement le pied de chaque salade, laissant de côté celles qui ressemblent à des petits arbustes.

Un ingénieur qui gagnait bien sa vie

Avant d’arriver dans ce petit bout de ruralité aux frontières de l’Ile-de-France, Xavier Fender, diplômé de l’école d’ingénieur angevine AgroCampus Ouest, était ingénieur paysagiste au Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis), au nord-est de Paris. Il menait une vie urbaine, un « bobo de bureau », en pleine ascension professionnelle, entouré de ses amis et de sa famille parisienne.

Après quelques années de métier, il devient salarié-associé dans une agence et gagne « bien » sa vie. La naissance de son premier enfant, en 2011, provoque un déclic : « Je travaillais beaucoup, j’aimais mon métier, mais je me suis lassé du fonctionnement de ce milieu. Avant chaque élection, on promettait des écoquartiers ambitieux qui finissaient immanquablement en lotissements pas cher. » Xavier Fender finit par vendre du béton et du bitume à la place des espaces verts qu’il chérissait depuis son enfance. « J’avais l’impression de me trahir un peu plus chaque jour », se rappelle-t-il.

Une autre petite musique se fait entendre, un rêve oublié qui refait surface : « Ma chambre d’enfant était remplie de cactus, de ficus, d’orchidées. J’étais un geek des plantes », raconte ce natif du XIIe arrondissement. L’idée de travailler la terre commence à germer. En septembre 2012, sa décision est prise : il sera « paysan maraîcher » dans l’agriculture non-conventionnelle.

Sur son chemin, il frappe à la porte de la chambre d’agriculture régionale d’Ile-de-France qui l’oriente vers le pôle Abiosol, une association qui promeut les installations dans l’agriculture biologique. Il lui faudra un an pour suivre des formations et trouver des terres. Les siennes, ils les trouvent sur le site Leboncoin, obtient des aides de la région et fait un emprunt à la banque.

Xavier Fender a investi dans quatre hectares de terres agricoles, à 80 kilomètres de Paris. | MM

Avoir fait des études supérieures l’aide à construire un plan économique crédible lorsqu’il se présente à une association pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP). Toute sa production est achetée avec un an d’avance. Il s’engage à fournir un panier hebdomadaire de sept ou huit fruits et légumes pour environ 1 000 euros annuels. Une certaine pression pour le jeune maraîcher qui a passé un an seul à cultiver ses légumes et qui ne se verse pas encore de salaire. « Mon premier hiver était rude, je me sentais très isolé dans mon champ. Et puis les inondations du printemps ont noyé ma récolte de pommes de terre », se souvient-il.

Ascenseur social inversé

Si les parents de Xavier sont médecins, son histoire familiale s’enracine néanmoins dans la terre. Sa grand-mère, fille de métayers du Limousin, voit dans son choix un « atavisme paysan » qui ressurgit. « Mes parents étaient des paysans pauvres, ils ne possédaient rien. A la toute fin de sa vie mon père a pu s’acheter sa ferme. Moi j’aidais pendant les récoltes. Mais mon institutrice, qui a peut-être senti en moi un potentiel, m’a poussé à faire des études et l’enseignement est devenu mon métier », raconte avec émotion Madeleine, 94 ans. L’ancienne professeur d’anglais regarde avec admiration le parcours de son petit-fils. « Il se cramponne et fait ce travail avec amour, même s’il n’a pas encore beaucoup de clients. »

Dans son immense serre baignée de soleil, Xavier Fender récolte ses derniers légumes d’été. Melons, pastèques, tomates. Il vérifie que son piège à mulots fonctionne toujours. « Ils m’ont dévoré une partie des récoltes l’année dernière. Depuis, je les tiens à l’œil. » Il surveille aussi ses « bébés ». « Ca c’est un bébé salade, avant qu’il soit planté dans une ligne. C’est émouvant de les voir grandir », murmure-t-il le regard habité.

Il est bientôt l’heure de déjeuner. Depuis quelques mois, Xavier Fender n’est plus seul. Il a réussi à embaucher une jeune fille pour l’aider dans l’exploitation. Comme lui, Rachel est diplômée l’école d’ingénieur d’Angers. « Les champs c’est très dur et très physique, mais je ne voyais pas dans une agence derrière un bureau », analyse simplement la jeune fille qui arbore le sweat-shirt de son école. Elle a entendu Xavier à la radio et a décidé de le contacter.

Le jeune paysan, tourbillonne, comptant, pesant et remplissant les cagettes des légumes fraîchement récoltés. Il doit livrer le soir même dans son AMAP… à Pantin, en Seine-Saint-Denis.