Le logo du géant des télécoms américaines, AT&T. | PAUL J. RICHARDS / AFP

Un nouvel empire des médias et des télécommunications est sur le point de voir le jour. Les conseils d’administration d’AT & T et de Time Warner se sont en effet réunis, samedi 22 octobre, pour avaliser le rapprochement des deux entreprises, confirmant ainsi les informations révélées dès jeudi par l’agence Bloomberg. L’opérateur de télécoms rachèterait le propriétaire des chaînes de télévision HBO et CNN pour 86 milliards de dollars (79 milliards d’euros) en titres AT&T et en espèces.

L’idée de cette fusion consiste, à la fois, à associer contenus et capacité de diffusion, tout en proposant de nouvelles offres sur Internet, dans un marché déclinant de la télévision payante. « Nous avons toujours été persuadés qu’un rapprochement entre les contenus et la diffusion font sens, estime Alan Gould, analyste chez Brean Capital, dans une note publiée vendredi. Étant donné l’évolution rapide du secteur de la diffusion, nous pensons qu’être propriétaire de contenus pourrait être bénéfique », ajoute-t-il.

Pour le numéro deux des télécoms américaines, ce virage stratégique est devenu de plus en plus évident. Dans un marché de la téléphonie mobile en voie de saturation, AT&T avait, dans un premier temps, décidé de croître par acquisition. En 2011, il avait ainsi fait une offre sur T-Mobile, la filiale américaine de Deutsche Telekom, mais le régulateur du secteur, la Federal Communications Commission (FCC), s’y était opposé, considérant que le poids du nouvel ensemble aboutissait à une position oligopolistique.

Dès lors, à l’instar de ses concurrents comme Verizon et Comcast, AT&T s’est lancé dans une course aux contenus pour alimenter ses réseaux de diffusion. L’opérateur a ainsi racheté, en 2015, DirecTV, le spécialiste de la télévision par satellite, pour 48,5 milliards de dollars. Une acquisition qui avait permis au groupe de devenir le premier diffuseur de télévision aux Etats-Unis, avec 26 millions d’abonnés, devant Comcast. L’opération lui a permis au passage de mettre la main sur les droits de la NFL, la ligue de football américain.

Proie idéale

Parallèlement, en 2014, AT&T a créé Otter Media, une coentreprise avec le groupe Chernin, pour investir dans les médias et créer un service de vidéo en streaming. Le PDG de cette société, Peter Chernin, a d’ailleurs joué le rôle de conseil dans le rachat de Time Warner.

Avec le rachat de ce dernier, AT&T complète son portefeuille de contenus. Outre HBO et CNN, Time Warner est également propriétaire de Cinemax, mais aussi la chaîne spécialisée dans les émissions humoristiques, TBS, ou encore de Turner Sports, sans oublier les studios de cinéma Warner Brothers. Enfin, AT&T met un pied dans le service de streaming Hulu, dont Time Warner détient 10 % aux côtés de Disney, 21st Century Fox et NBCUniversal.

Même si l’opérateur de télécoms est encore en pleine digestion de DirecTV, le PDG du groupe, Randall Stephenson, s’est laissé convaincre qu’il fallait continuer à accélérer, alors que le secteur est en pleine ébullition. Son concurrent dans les télécoms, Verizon, vient de racheter Yahoo pour 4,8 milliards, après avoir acquis AOL en 2015 pour 4,4 milliards. De son côté, Comcast, après le rachat de NBC Universal en 2009 pour 30 milliards, vient de mettre la main sur DreamWorks Animation pour 3,8 milliards de dollars.

Dans ce contexte, Time Warner fait figure de proie idéale, car l’une des dernières disponibles sur ce marché très convoité des contenus. Disney, valorisé en bourse à 150 milliards de dollars, est un bien trop gros morceau à avaler. Quant à des groupes comme 21st Century Fox ou CBS et Viacom, ils restent contrôlés par un actionnaire familial. Les deux derniers, détenus par la famille Redstone, sont d’ailleurs en train d’envisager une fusion.

Vitesse et précipitation ?

AT&T n’est pas le seul à lorgner sur Time Warner. En 2014, la 21st Century Fox avait déjà proposé de racheter le groupe pour 80 milliards. Mais le PDG de Time Warner, Jeff Bewkes, avait repoussé les avances de Rupert Murdoch, considérant que sa stratégie était suffisante pour surmonter les défis du secteur. Pour endiguer la concurrence de services de streaming comme Netflix, qui grignote des parts de marché à la télévision payante, Time Warner a ainsi lancé récemment son propre service de streaming. Parallèlement, le groupe mène une sévère restructuration pour maintenir ses capacités d’investissement dans les contenus. Mais les velléités de M. Bewkes de rester indépendant avaient provoqué une bronca de la part de certains actionnaires qui estimaient, au contraire, que c’était le bon moment de vendre.

Dès lors, AT&T savait qu’il n’y avait pas de temps à prendre s’il voulait prendre le contrôle de Time Warner, tout en y mettant le prix. La pression est montée d’un cran quand, il y a quelques semaines, M.Stephenson a appris qu’Apple s’intéressait aussi au dossier, comme l’a indiqué le Wall Street Journal.

AT&T est-il en train de confondre vitesse et précipitation ? Car si, sur le plan stratégique, le rachat de Time Warner apparaît comme pertinent, l’opération n’est toutefois pas sans risque. D’abord, le nouvel ensemble va en effet se retrouver à la tête d’une dette de plus de 150 milliards de dollars, pour un chiffre d’affaires annuel de 175 milliards. Ensuite, la fusion va être scrutée à la loupe par le régulateur américain. Dans une récente note, les analystes de Crédit Suisse ne cachaient pas leur scepticisme.

« Au mieux, nous estimons qu’un examen fastidieux au résultat incertain va donner à réfléchir aux deux parties pour envisager un rapprochement. Au pire, cela peut agir comme un obstacle à l’opération qui est proposée. »

Enième péripétie

L’incertitude est d’autant plus grande que la FCC risque d’être profondément renouvelée après l’élection présidentielle américaine du 8 novembre. Il est ainsi difficile, à ce stade, d’anticiper la façon dont le dossier sera examiné dans les prochains mois par les membres nommés par la nouvelle majorité.

Le candidat républicain, Donald Trump, a déjà planté le décor, samedi, en s’engageant à faire échouer le projet s’il accédait à la Maison Blanche, considérant que ce genre de structure entraînerait selon lui une trop grande concentration de pouvoir. De son côté, Hillary Clinton a promis qu’elle renforcerait les autorités de la concurrence en cas de victoire.

La proposition d’AT & T constitue une énième péripétie pour Time Warner, dont l’histoire a été rythmée par les mariages et les séparations. Le groupe s’était constitué en 1989 après le rapprochement des activités de presse écrite (Time Magazine, Fortune…) avec les studios de cinéma de la Warner. Sept ans plus tard, le groupe rachetait CNN à Ted Turner, avant de fusionner avec AOL en 2000. Mais avec l’éclatement de la bulle internet, l’opération s’est transformée en cauchemar. Après avoir surpayé sa proie, Time Warner avait ainsi été obligé d’encaisser une perte comptable de 99 milliards. Enfin, en 2009, Time Warner s’était séparé de son activité de câblo-opérateur, Time Warner Cable, et de ses titres de presse écrite.