Les Calaisiens redoutrent la création de mini-camps informels qui se reconstitueraient dans la ville, dans les squares, sous les ponts et « dans un rayon de plusieurs kilomètres autour de Calais ». | DENIS CHARLET / AFP

L’air était vif à Calais dimanche 23 octobre. La ville de la côte d’Opale s’est éveillée comme tant d’autres week-ends. Avec une petite différence toutefois : en cette journée, les dernières maraudes se préparaient dans la « jungle », le bidonville installé aux portes de la ville - et qui regroupe encore 8 500 personnes, selon L’Auberge des migrants - devant être démantelé à partir de lundi 24 octobre au matin.

Une perspective qui laissait les Calaisiens plutôt dans l’expectative quant aux effets supposés de cette évacuation, ordonnée par les autorités. Si certains ont milité en faveur de ce démantèlement du camp de la Lande, « pour restaurer l’image de la ville », cela ne les empêche pas de rester dubitatifs. « Je suis content de l’annonce, mais on va voir dans les faits », déclare Frédéric Van Gansbeke, le président du collectif des entreprises et des commerces du Calaisis. « C’est tellement compliqué », dit celui qui était monté jusqu’à Paris début 2016 manifester son ras-le-bol, avant de protester à Calais, en septembre, appelant toujours au démantèlement.

Bertrand Lefèvre, chef du restaurant La Côte d’argent, sur le front de mer, lui emboîte le pas en affirmant « être comme Saint-Thomas ». S’il se veut « optimiste », il se dit « déçu du manque de solidarité de certaines communes françaises », qui ont fait savoir leur refus d’accueillir des migrants de Calais.

Ils ont déjà connu « d’autres opérations du même ordre » depuis la fermeture du centre de Sangatte en 2002 : en septembre 2009, Eric Besson, alors ministre de l’intérieur, avait ordonné le démantèlement de la « jungle 1 » ; en mai 2014, deux vastes campements en centre-ville avaient été évacués ; en mars, la zone sud de la « New Jungle » a été démantelée. Mais ces opérations n’ont rien réglé du flux des étrangers irréguliers qui tentent chaque jour de rejoindre clandestinement le Royaume-Uni.

« Calais restera toujours un point de chute pour les exilés »

Le spectre de mini-camps informels qui se reconstitueraient dans la ville, dans les squares, sous les ponts… et « dans un rayon de plusieurs kilomètres autour de Calais » est dans presque toutes les têtes. Stéphane Vancutsem, chef d’équipe pour l’une des deux compagnies de ferries au port de Calais, a été le précurseur de la demande de démantèlement - plus précisément « d’un déplacement » - du camp installé à 800 mètres du port, « une hérésie ! », s’exclame-t-il. S’il voulait avant tout « défendre économiquement son travail » - « on a perdu 40 % du fret de nuit » -, il voit dans l’évacuation, annoncée à partir de lundi, une simple « pause légère ». « Calais restera toujours un point de chute pour les exilés », dit-il, fataliste.

D’autres Calaisiens, s’ils ne remettent pas en cause le bien-fondé du démantèlement - « humainement une bonne chose » -, déplorent la précipitation de son exécution qui ne permet pas d’installer « la confiance nécessaire ». Ainsi Dominique et sa femme Nadine, deux bénévoles qui s’apprêtaient dimanche à passer leur dernière journée dans la « jungle », font part de la « peur qui s’est emparée de certains migrants, les femmes avec enfants en particulier », à l’idée de quitter le bidonville et qui les interrogeaient : « que vaut-il mieux, l’Angleterre ou la France ? »

Véronique, 50 ans, appréhende aussi l’évacuation de la « jungle », « une part de sa vie qui va être détruite ». Cette salariée de La Vie active, l’association qui gère le centre d’accueil Jules Ferry, sera là lundi pour « dire aux réfugiés qu’on ne les oublie pas ».

« La solution ne peut naître que d’une réflexion globale quant à une politique d’hospitalité », estime le directeur de la scène nationale Le Channel, Francis Pedruzzi. Car, mais faut-il le rappeler, « Calais, pour très longtemps encore, sera toujours à 30 km de l’Angleterre ».