Les migrants quittent Calais en bus, le 24 octobre à l’aube. | Antonin Sabot / Le Monde

Les premiers cars ont quitté Calais, à l’aube lundi 24 octobre. Direction l’un des 280 centres d’accueil et d’orientation (CAO) répartis dans toutes les régions de France, excepté la Corse et l’Ile-de-France.

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L’objectif des autorités est d’évacuer de la « jungle » dès le premier jour 2 400 personnes (hommes, femmes et enfants), sur les près de 6 500 migrants comptabilisés au dernier recensement.

Les plus décidés sont arrivés dès l’aube, en petits groupes, souvent originaires d’un même pays. De jeunes hommes pour la plupart, parmi lesquels beaucoup de mineurs isolés, qui ont l’espoir, grâce à cette opération de « mise à l’abri » et au réglement européen de Dublin sur la réunification familiale de pouvoir rejoindre de la famille, au Royaume-Uni. Sans surprise, ils étaient donc les premiers dans la file ce matin, deux heures avant l’ouverture des grilles. Les Oromo, qui ont fui l’Ethiopie, étaient là en nombre, comme les Soudanais : c’est à cette heure la nationalité la plus représentée parmi les volontaires.

Les migrants attendent dans un hangar le bus qui les mènera dans un centre d’accueil et d’orientation. | © Olivier Laban-Mattei / Myop pour Le Monde

« Je suis épuisé »

Fabienne Buccio, préfète du Pas-de-Calais, disait hier craindre un effet de foule à l’ouverture des grilles. Mais l’attente, dans la nuit, s’est faite dans un grand calme. Les hommes en file indienne, leurs vies empaquetées dans d’énormes valises distribuées pour l’occasion par une association ou dans de tout petits sacs à dos, avaient la mine grave. Celle de ceux qui ont déjà parcouru bien des kilomètres, surmonté bien des dangers, connu beaucoup de désillusions et qui s’apprêtent à faire un nouveau pas dans l’inconnu.

Firaol, un jeune Ethiopien oromo de 16 ans, n’avait plus envie de rester dans ce bourbier à Calais : « Je ne sais pas encore si c’est une chance ce qui se passe… Peut-être que oui, peut-être que non, mais je tente le coup ! » Dans la file d’attente, lundi matin, Muhammad Ibrahim, 21 ans, attend lui aussi un bus, sans savoir où il va aller :

« Ça fait seize mois que je suis là, je suis épuisé. Je n’ai pas peur. J’ai besoin de changer de vie… Alors je suis prêt à rester en France, n’importe où. »

Quand les portes se sont ouvertes à 8 heures, et l’excitation et l’effet de foule étaient bien plus du côté des quelque 800 journalistes et techniciens accrédités pour suivre l’opération que du côté des migrants qui ont suivi les instructions des services de l’Etat.

Une couleur, une région

Ils se sont répartis en quatre files – hommes seuls, femmes, mineurs et personnes vulnérables – et sont entrés dans le hangar où des agents de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) leur ont demandé de choisir sur une carte entre deux régions : bracelet rose pour la Nouvelle-Aquitaine, vert pour la région Auvergne-Rhône-Alpes, et ainsi une couleur pour chacune des onze régions de France où des CAO les attendent : un moment de répit après des mois, voire des années, dans la boue et le froid.

L’occasion aussi de se poser pour penser leur projet migratoire et déposer s’ils le souhaitent une demande d’asile en France ou opter pour l’aide au retour dans leur pays d’origine : 135 personnes sont reparties dans ce cadre ces trois dernières semaines, 392 cette année. Avant les premiers départs, Christian Salomé, président de l’association L’Auberge des migrants, se montrait plutôt optimiste : « Ils se tiennent ensemble et ils s’arrangeront eux-mêmes pour aller dans le même bus. Il y a une bonne volonté au niveau des départs. Et je fais confiance aux autorités pour organiser ça au mieux. »

Le premier bus est parti à 8 h 34, cinq étaient partis une heure plus tard, six autres se remplissaient. Entre-temps, en ce milieu de matinée, une seconde file, plus informelle, est apparue de l’autre côté de la route : des migrants sans bagage, présents en badauds, qui regardent « comment ça se passe » pour prendre leur décision. D’autres, comme Tarig, 22 ans, sont venus « dire au revoir » à leurs amis. A cette heure, lui dit vouloir rester ici et continuer à tenter toutes les nuits le passage en Grande-Bretagne, « parce que c’est ce que je veux, c’est la raison pour laquelle je suis ici ».

Ainsi selon M. Salomé, 2 000 personnes « ne veulent pas partir » de Calais pour poursuivre leur rêve d’Angleterre. « Il y a un certain nombre de résistances », a également affrimé Pierre Henry, directeur de France Terre d’Asile. Cela concerne des migrants qui « n’ont pas compris » le dispositif ou qui souhaitent « rejoindre la Grande-Bretagne ».

« Jungle » de Calais : le démantèlement en chiffres
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Images : Anna Moreau / Le Monde