Des centaines de réfugiés attendent de monter dans l'un des bus qui les emmènera vers un centre d'accueil et d'orientation (CAO), le 24 octobre 2016 aux abords de la «  jungle » à Calais. | OLIVIER LABAN-MATTEI/MYOP POUR "LE MONDE"

Les Oromos d’Ethiopie sont venus les premiers, suivis d’un grand nombre de Soudanais. Les Afghans, eux, sont arrivés bien plus tard. Plus d’une heure avant l’ouverture d’un immense hangar transformé en gare routière, lundi 24 octobre à l’aube, la file d’attente était déjà longue. Elle n’a cessé de se densifier au cours de la matinée, semblant lever les doutes qui planaient, la veille encore, sur le nombre de migrants qui se porteraient volontaires pour quitter la « jungle » de Calais, au premier jour de l’opération de démantèlement du plus grand bidonville d’Europe.

En fin de matinée, de premiers mouvements de foule sont apparus lorsque de petits groupes ont tenté de doubler par le côté, obligeant les CRS à réorganiser les barrières de chantier pour former deux zones distinctes où patienter, avant le passage de la grande grille verte menant au hangar.

Fébrilité et énervement

L’attente, longue de plusieurs heures, a parfois dissuadé les moins chaudement vêtus et fait enfler la rumeur : « Il paraît qu’il n’y a plus de bus ! » Signe de la fébrilité des migrants, on a soudainement vu une centaine d’hommes se mettre à courir à toutes jambes, valises à la main dans une rue adjacente, comme si l’un d’entre eux avait enfin trouvé une ruse pour embarquer plus vite… Avant de voir revenir les mêmes quelques minutes plus tard, penauds, après s’être aperçus que c’était vain.

A l’heure du déjeuner, l’énervement commençait à poindre ici et là. Ceux qui faisaient demi-tour croisaient ceux qui s’étaient décidés à partir sur le tard, tandis que des bénévoles mal informés commençaient à suggérer aux candidats au départ de revenir plutôt prendre les cars en partance mardi matin.

Est-ce cette fameuse rumeur qui s’est propagée jusqu’à la « jungle » ? La lassitude d’avoir trop attendu ? Ou le flux de motivés qui s’est tari ? Alors que la préfète du Pas-de-Calais, Fabienne Buccio, s’inquiétait au matin de devoir faire partir des bus jusque tard dans la nuit, l’engorgement de la mi-journée s’est finalement résorbé en quelques heures, obligeant, faute de prétendants, les services de l’Etat à ralentir les départs. « On ne fera sans doute pas les soixante bus prévus aujourd’hui, mais demain est un autre jour », se rassurait peu avant 18 heures Pierre-Henry Brandet, porte-parole du ministère de l’intérieur sur place.

Si le nombre de départs est conséquent, seule une petite partie des migrants a quitté la « jungle » : ils seront encore lundi soir plus de 4 500 (estimation basse) à y dormir, | JEFF PACHOUD / AFP

Ce sont finalement quarante-cinq bus qui ont quitté Calais lundi, avec à leur bord 1 918 migrants, selon les chiffres du ministère de l’intérieur. Quatre cents mineurs ont pour leur part été « orientés au centre d’accueil provisoire », situé sur le campement, dans l’attente de l’instruction de leur dossier. Si le nombre de départs est important, seule une petite partie des migrants a quitté la « jungle » : ils seront encore lundi soir plus de 4 500, selon les estimations les plus basses, à y dormir, alors que l’opération d’évacuation – le gouvernement parle de « mise à l’abri » – doit théoriquement être terminée jeudi.

Lundi après-midi, ils étaient encore nombreux à ne pas envisager un départ. Match de cricket ici, danses autour d’un feu de bois là, discussions tranquilles autour d’une bière ou d’un thé : on ne sentait pas de frénésie du paquetage. Ceux qui passaient, sac au dos ou valise sur la tête – les roulettes ne glissent ni dans la boue ni sur le sable – étaient salués tranquillement d’un « good luck my friend » (« bonne chance, mon ami ») et d’un geste de la main.

De nombreuses femmes mal informées

Les femmes et les familles étaient particulièrement absentes dans les files d’attente du matin. Celles hébergées dans l’ancien centre de loisirs Jules-Ferry ne semblaient pas décidées à en bouger. « Moi j’y reste jusqu’au bout, confiait Yapsaka, Ethiopienne, léger voile blanc sur la tête. Je veux aller en Angleterre, nulle part ailleurs. » Agée de 17 ans, une partie de sa famille vivant outre-Manche, elle pourrait pourtant bénéficier de la réunification familiale prévue par le règlement européen de Dublin. Mais elle l’ignore.

Comme elles, de nombreuses femmes semblaient manquer d’informations et tentaient d’en savoir plus, y compris auprès des journalistes. « Vous savez si les femmes enceintes partent pour l’Angleterre ? », interrogeait ainsi Samira, 34 ans, une Erythréenne enceinte de six mois. « Ils ne font passer que les mineurs, vous êtes sûrs ? Parce que moi, j’ai mon frère là-bas », avançait Noura, une Erythréenne de 26 ans, dans la « jungle » depuis « un mois et vingt-deux jours ». Face à elles, les très jeunes bénévoles de l’association Refugee Youth Service n’avaient que des réponses vagues à leur apporter, semant un peu plus la confusion.

Personne ne savait non plus que répondre aux larmes de Senart, Erythréenne de 28 ans, enroulée dans une couverture. Elle est arrivée à Calais après avoir été évacuée en juin du camp de la Chapelle, à Paris : « Ma demande d’asile a été rejetée, mon recours aussi… Si maintenant même la jungle c’est fini… Où vais-je aller ? »

Lundi, policiers, humanitaires et services de l’Etat s’accordaient pour dire que les heures les plus compliquées de l’opération de démantèlement étaient encore à venir. Quand, jeudi ou vendredi, tous les migrants volontaires auront pris le car et qu’il ne restera plus que les récalcitrants. « Là, on en aura fini de l’opération humanitaire », confiait un responsable. Commencera alors l’opération de police.

Calais, l’évacuation de la « jungle » en images