En images : le début des opérations de démantèlement de la « jungle » de Calais
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A l’aube, lundi 24 octobre, les premiers cars ont quitté la « jungle » de Calais. Direction, l’un des 280 centres d’accueil et d’orientation (CAO) répartis dans toutes les régions de France, excepté Corse et Ile-de-France, où les migrants vont pouvoir déposer une demande d’asile. L’opération doit se dérouler durant plusieurs jours et le démantèlement de la « jungle » commencera à partir de mardi.

La journaliste du Monde chargée des questions migratoires, Maryline Baumard, a répondu depuis le camp de Calais aux questions des internautes sur cette opération à hauts risques pour le gouvernement.

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Dans quelle ambiance se passe le démantèlement ?

Maryline Baumard : Ça se passe dans le calme. Il y a énormément de forces de l’ordre autour de cette zone, où on a besoin d’accréditations pour rentrer. Ça se passe aussi plutôt dans la bonne humeur. Aujourd’hui, soixante bus doivent partir un peu partout en France, ce qui signifie qu’à l’intérieur de ce pôle, c’est vraiment la précipitation.

Il y a des équipes de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et de la sécurité civile qui sont là et qui ne lèvent pas le nez de leurs dossiers afin d’enregistrer les gens.

Comment ont réagi les migrants par rapport au démantèlement ? Sont-ils soulagés ou déçus ?

Hier matin, on notait que beaucoup de migrants, notamment des Afghans, ne s’engageaient pas. Ils ne disaient pas si ces départs vers les CAO les intéressaient ou pas. Les Soudanais étaient un peu plus partants, on se doutait que ce seraient les premiers à prendre le bus. Et c’est ce qui s’est passé ce matin.

Hier soir, il y a eu quelques échauffourées dans la « jungle », comme cela arrive très fréquemment. Les forces de l’ordre ont répliqué avec des tirs de lacrymogènes. La différence, c’est qu’il y avait 700 journalistes, donc ça a été beaucoup plus couvert que d’habitude. Mais il ne faut pas oublier que ça a été le quotidien dans cette « jungle » pendant des mois.

Est-ce qu’aujourd’hui, tout se déroule comme prévu ?

J’étais à l’intérieur du poste de commandement entre 8 heures et 10 heures, et les choses semblent se dérouler comme prévu. Il y avait des craintes que les bus partent très en retard, mais en définitive, le premier bus est parti à 8 h 35.

Y a-t-il des réfractaires au départ ?

Les récalcitrants, ce n’est pas aujourd’hui qu’on va les voir. Pour l’instant il y a encore beaucoup de migrants dans la « jungle » et notamment des Afghans. C’est lorsque cette « jungle » va se vider et que les autorités vont vouloir commencer à démonter les cabanes que l’on verra s’il y a beaucoup de récalcitrants. Ce sera donc vers la fin de semaine que l’on pourra le mesurer.

Qu’adviendra-t-il des migrants qui ne sont pas volontaires au départ ?

Au début, les autorités laissaient entendre que ceux qui n’étaient pas volontaires pour partir en CAO risquaient d’être mis en centre de rétention administrative. Aujourd’hui, les autorités se sont rendu compte qu’il n’y avait pas assez de places, donc il nous a été dit juste avant le démantèlement que tous ceux qui voulaient partir à pied ou prendre le train, on les laisserait quitter Calais. Il y a des gens qui vont disparaître dans la nature.

Selon les associations, des migrants reviendront ici ou essaieront de trouver des cachettes partout dans la région pour ne pas être trop loin des lieux de passage vers la Grande-Bretagne.

Les migrants qui ont décidé partir de la « jungle » attendent, lundi 24 octobre, sous une tente le bus qui les mènera vers un centre d’accueil et d’orientation. | © Olivier Laban-Mattei / Myop pour Le Monde

Concernant l’accueil dans les CAO, qu’est-ce qui attend les migrants ?

Chaque centre est différent. Ce sont souvent des associations locales qui sont mandatées pour les gérer. L’Etat, pour chaque migrant entrant en CAO, donne 25 euros par jour environ. Ce qui permet de l’héberger, de le nourrir et de l’aider à faire sa demande d’asile. C’est le cas pour 80 % des personnes entrant en CAO.

Souvent, un médecin fait un diagnostic à l’arrivée, parce que lorsqu’on a vécu plusieurs mois dans la « jungle », on n’est pas forcément en bonne santé. Les migrants vont se reposer, essayer de retrouver leurs marques, de réfléchir à leur projet migratoire. Et ils vont se faire aider pour monter leur demande d’asile.

En France, on ne peut pas travailler tant qu’on n’est pas titulaire du statut de réfugié. En revanche, ils pourront bénéficier de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA), une prime de 6-7 euros par jour, qui va leur permettre de couvrir leurs besoins qui ne sont pas pris en charge par le centre dans lequel ils seront accueillis. Les cours de langue vont également avoir lieu dans les CAO, mais là aussi, ça ne commence que lorsqu’on demande l’asile.

Combien de temps les migrants pourront-ils rester en CAO ?

Elles pourront rester un « certain temps », comme le disent les autorités. Aujourd’hui, le ministère refuse de donner les statistiques sur le temps passé par les migrants dans ces CAO. Ce que j’ai vu en tant que journaliste dans le dernier CAO où je suis allée, dans les Deux-Sèvres, ce sont des personnes qui étaient là depuis le début de l’été.

La procédure pour aller dans un autre type d’hébergement est complètement paralysée : le nombre de demandeurs d’asile a augmenté de 15 % en 2015 en France et le nombre d’hébergements qui leur sont destinés n’a pas été augmenté en conséquence. Donc ces CAO sont un goulet d’étranglement. Les personnes qui y rentrent aujourd’hui vont rester trois, quatre, cinq mois en général.

Pourquoi l’Ile-de-France n’a-t-elle aucun CAO ?

Il y a deux régions qui ne vont pas recevoir de migrants, l’Ile-de-France et la Corse, pour deux raisons différentes. L’Ile-de-France reçoit déjà beaucoup de migrants, les centres sont saturés, il n’y a donc pas de place pour les accueillir. Pour la Corse, il n’y a pas là-bas de centre d’accueil de demandeurs d’asile.

Que vont devenir les mineurs isolés ?

Ils sont répartis aujourd’hui dans une file d’attente spécifique. Ils ne partiront pas dans un CAO comme les familles. On les enregistre ici, on observe de visu si oui ou non – c’est vraiment un examen sommaire – ils sont bien mineurs. Ils vont repartir ensuite vers le centre d’accueil provisoire (CAP), qui est constitué d’un empilement de conteneurs, pendant quinze jours ou trois semaines, le temps que les Britanniques constituent les dossiers de ces quelque 1 200 jeunes mineurs isolés pour savoir qui peut rejoindre un parent en Grande-Bretagne.

Près de 2 400 migrants vont partir de la « jungle » de Calais, lundi 24 octobre. | OLIVIER LABAN-MATTEI / MYOP POUR "LE MONDE"

Quel est le dispositif média ? Est-ce que ce n’est pas un problème qu’il y ait autant de caméras ?

Effectivement, c’est la raison pour laquelle nous avons choisi de nous éloigner des migrants. Ils ont dans les yeux depuis 6 heures du matin les flashs des appareils photos et les spots éclairant les caméras. La France, avec cette évacuation, est réellement sous le regard du monde. C’est quelque chose de très lourd qui a été difficile à organiser pour l’Etat.

Combien de temps va-t-il falloir pour démanteler le site et que va-t-il devenir ?

Ce qui a été demandé à la préfecture du Pas-de-Calais, c’est d’évacuer la « jungle » en une semaine. Il s’agit de vider cet espace, que Calais ne soit plus un endroit où les migrants s’arrêtent pour rejoindre la Grande-Bretagne. Mais Calais restera toujours la ville de départ du tunnel. Donc il y aura ensuite des membres des forces de l’ordre qui vont rester ici en nombre. On ne sait pas encore combien ils seront.

Des dispositifs de surveillance seront aussi mis en place dans la ville de Calais pour éviter que des squats ne s’ouvrent. La grande interrogation, c’est comment faire pour qu’une « jungle » ne se reconstruise pas dans ces lieux.

Des accords ont-ils été signés pour des départs volontaires éventuels vers d’autres pays ?

Il y a un phénomène assez intéressant. Selon l’OFII, ces dernières semaines à Calais, 135 personnes ont demandé un retour volontaire vers le pays d’où elles viennent. Ça concerne beaucoup d’Afghans, quelques Irakiens. Ce matin, dans la file d’attente, des migrants m’ont dit qu’ils ne souhaitaient pas rester en France et qu’ils voulaient rentrer dans leur pays. C’est la conséquence de plusieurs mois de vie dans la « jungle », où les conditions étaient réellement des conditions de survie. Ça a été très difficile pour eux et aujourd’hui il y en a qui désespèrent, qui ont envie de rentrer chez eux.

Certains de ces migrants souhaitent-ils toujours se rendre en Angleterre ?

Tout à fait, on a vu hier des migrants qui n’ont pas renoncé à leur projet de passer en Angleterre. Bien que le discours officiel affirme aujourd’hui qu’il y a zéro passage. Selon nos enquêtes de terrain, ce n’est pas vrai du tout, il y a des passages. On a entendu beaucoup d’exilés dire qu’ils n’avaient pas renoncé à tenter de passer en Grande-Bretagne.

Quelques chiffres, en vidéo, pour mieux comprendre cette opération sans précédent en France :

« Jungle » de Calais : le démantèlement en chiffres
Durée : 00:51
Images : Anna Moreau / Le Monde

En vidéo et en cartes, retour sur la situation du camp de Calais, qui a dégénéré pour laisser s’installer de tels bidonvilles :

De Sangatte à la « jungle », comment Calais est devenu un point de fixation
Durée : 06:16