Aeroport Roissy Charles-de-Gaulle, janvier 2016. | KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Erasmus, c’est « l’aventure avec un grand A, puis une dépression avec un grand D », résume Fabien, 27 ans, revenu d’un séjour d’études en Grèce en 2011. Parmi les quelque trois millions d’étudiants qui ont bénéficié du programme d’échanges européen Erasmus depuis sa création en 1987, tous n’ont pas connu ce qu’on nomme parfois le « syndrome » ou « déprime » post-Erasmus. Mais les dizaines d’internautes du Monde qui ont répondu à notre appel à témoignages évoquent presque tous une période de « blues », nécessitant un temps de réadaptation.

Revenir à la vie « d’avant »

« L’atterrissage ne se fait jamais vraiment en douceur », poursuit Fabien. Car selon lui, « Erasmus est une boîte de Pandore, une fois grande ouverte le mal est fait, car ceux avides de libertés s’y sont engouffrés et ne souhaitent pas revenir à leur vie d’avant ». Les témoignages se suivent et se ressemblent pour décrire cette sensation, qui dépasse la simple nostalgie d’un retour de voyage. Comme l’impression de ne pas reconnaître la vie, les amis, la famille et la ville, voire les études, qu’on avait laissées ici six mois ou un an plus tôt.

« J’avais le sentiment que ma vie était beaucoup moins passionnante, que je faisais un grand bon en arrière, tout en ayant l’impression que je n’étais plus la même », explique Laurianne, 25 ans, revenue d’un an en Argentine. « Je me suis senti en complet décalage avec mes amis, les autres jeunes de ma génération, etc. », renchérit Perrine, 21 ans, de retour de Berlin.

Bref, pendant quelques mois « tout ce qui t’était familier te paraît soudain lointain et tu n’es plus à l’aise » résument très bien la journaliste Raquel Pineiro et l’illustratrice Amaia Arrazola, dans leur roman graphique Journal d’un étudiant français à l’étranger – Mon séjour Erasmus (Ed. Hors Collection, 2015).

Dans « Journal d’un étudiant français à l’étranger » - Amaia Arrazola, Raquel Pineiro - Ed. Hors Collection - 2015

« Erasmus c’est une bulle d’air frais »

Il y a ce qu’on retrouve en arrivant, ou ce qu’on essaie de retrouver, et puis ce qu’on a laissé dans sa ville « de cœur ». Des images plein la tête de « là-bas », de cet autre chez-soi qu’on vient juste de quitter et auquel on n’arrêtera pas de penser pendant encore un bon bout de temps. Les témoignages que nous avons recueillis sur Lemonde.fr sont imprégnés de souvenir, de visages et de paysages. « Maisons colorées, climat généreux, gastronomie riche (…), des émotions, des rencontres avec des personnes incroyables venant des quatre coins du monde, des soirées à thème, des repas interculturels. Nous étions une famille à part entière. On a envie que ce rêve ne s’arrête jamais ! », raconte Julia, 21 ans, tout juste de retour de Gênes (Italie).

Et puis il y a la « liberté » qu’ils ont l’impression d’avoir connue « là-bas », et qui manque. « Erasmus c’est une bulle d’air frais où l’on donne la possibilité à quelqu’un de sortir des sentiers battus », raconte Fabien. « La possibilité d’être qui on souhaite, de n’avoir peur de rien », complète Laurène, 23 ans qui a « vagabondé » en Italie. « Comme le temps est compté en Erasmus, on ne dit jamais non à rien et on est avide de découvertes. Comme une bulle hors de la réalité. Le plus difficile au retour est de perdre cette énergie, cette envie de dire oui à tout pour ne rien regretter », explique de son côté Clara, 20 ans. C’est quand cette « bulle » disparaît que le blues survient, selon de nombreux témoignages.

Pas de quoi s’inquiéter outre mesure, tempère Dominique Monchablon, psychiatre et chef de service du Relais étudiants lycéens (Fondation santé des étudiants de France) de Paris, pour qui, si « la mobilité peut être un élément de déstabilisation psychologique » pour les plus fragiles, il n’y a aucun « problème majeur » avec les étudiants Erasmus. C’est simplement qu’« après ce temps suspendu qu’est le séjour, hors de son milieu, de sa famille, de ses amours, etc., le retour en France est un retour à la réalité, au quotidien, aux contraintes d’études… ».

La majorité des étudiants, partant en troisième année de licence ou en première année de master, doivent au retour de leur séjour « se remettre en selle, se poser les bonnes questions sur la fin des études qui approche, leur métier futur... » Des questions concrètes pas toujours agréables après un séjour où développement personnel, ouverture d’esprit et expérience vécue étaient les maîtres mots.

« Est-ce moi qui ai changé, ou eux ? »

Des gens qui sont déstabilisés au retour d’une expatriation, Alix Carnot en voit, elle, passer des dizaines par an. Directrice du pôle carrières internationales au sein de l’agence Expat communication qui propose du coaching aux expatriés, elle décrit ce « moment perturbant et fatiguant » où on se dit, après avoir posé ses valises : « Je ne comprends pas si c’est moi qui ai changé où si c’est mon environnement. » Selon elle, les étudiants en échange à l’étranger, comme les expatriés, recommencent à leur retour au bercail le processus d’intégration qu’ils ont connu au tout début de leur séjour à l’étranger.

Ce processus, illustré par une courbe en forme de « U » et théorisé par les chercheurs américains Mc Cormick et Chapman, est composé de quatre étapes plus ou moins longues : lune de miel et découverte du « nouveau » pays, crise et choc culturel, phase d’adaptation, phase de maturité et d’intégration réussie. Alix Carnot estime que « 90 % » des gens passent par ces phases à l’aller et au retour. « Sauf qu’au retour, la lune de miel dure moins longtemps, car il n’y a pas l’excitation de l’inconnu », explique-t-elle. Les retrouvailles passées, le coup de blues arrive vite…

Savoir fermer la parenthèse

Nombre de témoignages font état d’un sentiment de solitude au retour en France. Solitude face à ses proches « qui ne comprennent pas l’intensité de ce qu’on a vécu ». Mais aussi solitude face aux universités qui, si elles savent accompagner comme il faut les étudiants avant et pendant le séjour, ne prévoient rien pour faciliter leur réintégration. Capacité d’adaptation et à prendre des risques, langue apprise, ouverture d’esprit, etc. : « L’étudiant est confronté à une sorte de vide au moment du bilan, pour déterminer ce qu’il peut faire de tout ce qu’il a appris, commente Christophe Allanic, psychanalyste qui s’est intéressé aux questions d’expatriation. L’appui social en vigueur avant et pendant le séjour semble manquer à la fin de celui-ci. Comme un rite de passage inachevé. »

Face à ce manque d’accompagnement pour donner du sens, a posteriori, à sa mobilité, les universités commencent à réagir. Comme celle de Nantes, où existe depuis trois ans un atelier d’expression artistique, écriture ou dessin, à destination des étudiants tout juste rentrés. « Nous invitons les étudiants qui le souhaitent à faire un carnet de voyage, pour les amener à réfléchir à leur séjour, ce qu’ils en retirent, comment valoriser ce qu’ils ont appris », commente Gwenaele Proutière-Maulion, vice-présidente aux affaires européennes et aux relations internationales de l’université. Une manière de les aider à « finir de s’approprier leur mobilité ».

Le « virus » du voyage

Une solution pour préparer, avant même son départ à l’étranger, le moment où l’on devra revenir, peut d’ailleurs être de tenir un carnet de voyage qui permettra, in fine, de mesurer le chemin parcouru. Plusieurs étudiants qui ont répondu à notre appel à témoignages racontent que pour ne pas sortir brutalement de l’ambiance de l’expatriation, ils ont décidé de s’investir dans leur université, dans l’accueil des étudiants en échange universitaire en France.

Il y a enfin tout ceux pour lesquels Erasmus a été un point de départ. Et qui, à peine de retour, cherchent à repartir. « J’ai trouvé une solution au blues post-Erasmus, je prépare mon prochain départ : un stage d’été en Amérique du Sud », raconte Clara. « La bougeotte que j’ai attrapée là-bas ne m’a jamais quittée : je pars dans quelques mois en PVT [programme vacances-travail] au Canada pour deux ans », explique de son côté Audrey.

Du blues post-Erasmus, temporaire, au « virus » du voyage, il n’y a donc qu’un pas. « Et alors ? Ce n’est pas un mauvais virus, le virus de l’international ! », conclut la coach d’expatriés Alix Carnot. « Pratiquement tous » les expats qu’elle accompagne aujourd’hui sont passés, durant leurs études, par un échange universitaire.

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