Le coach des pongistes français, Han Hua. | JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP

Un Français contre un autre Français. En bonne logique, cela faisait 100 % de chances de voir un Français champion d’Europe de tennis de table en individuel, dimanche 23 octobre, à Budapest (Hongrie). Le beau rôle est revenu à Emmanuel Lebesson, vainqueur de Simon Gauzy (4 sets à 1) en finale et donc successeur officiel de Jacques Secrétin, sacré il y a quarante ans.

Un Français contre un autre Français, cela faisait surtout 100 % de chances de voir récompensé le travail d’un entraîneur chinois. Depuis trois ans déjà, Han Hua essaie d’inculquer à l’équipe de France masculine son approche « scientifique » de ce sport où il s’agit d’anticiper « au moins trois coups d’avance sur son adversaire ».

Ces préceptes, le technicien les avait déjà éprouvés pendant des années (1997-2013) avec les meilleurs pongistes de l’équipe nationale de Chine, et donc du monde. Parmi eux, Kong Linghui, champion olympique en 2000.

Le pongiste français Emmanuel Lebesson a été sacré champion d’Europe dimanche à Budapest. | ATTILA KISBENEDEK / AFP

Ce qui donne à M. Hua (prononcer « roi »), 57 ans, des envies de métaphores :

« Au tennis de table, il faut être dur, c’est comme un combat, comme une guerre. Pour rire, je dis souvent à mes jeunes joueurs : “Si tu veux gagner, tu veux rester vivant, tu dois tuer ton adversaire.” »

La phrase semble martiale, mais elle est prononcée avec le sourire (et en français), simplement pour illustrer le propos. Car Han Hua, que Le Monde avait rencontré en juin, est aussi et surtout capable d’empathie. Il en faut un minimum pour accepter de passer de la Chine, superpuissance du « ping », à la France, encore nostalgique d’un Jean-Philippe Gatien vice-champion olympique (1992) et champion du monde (1993).

« Appuyer sur les bons boutons »

Emmanuel Lebesson, nouveau champion d’Europe, compte bien profiter encore longtemps de cet « immense entraîneur ». Le pongiste de 28 ans expliquait déjà cet été en quoi Han Hua a été « essentiel à [sa] progression ». Et ce, malgré une élimination précoce dès le premier tour des Jeux olympiques 2016, en simple comme en équipe :

« Il m’a corrigé le placement, j’avais un dos très raide, je n’utilisais que le bras et je n’accompagnais pas assez mon geste, alors que tout part du dos, au service, dans les remises, dans les premières balles… »
« Je ne suis pas toujours le plus facile à l’entraînement, je suis parfois râleur, mais il arrive à appuyer sur les bons boutons. Il sait quand il faut resserrer la vis, ou bien me laisser un peu plus de liberté. »

L’entraîneur travaille en binôme avec Patrick Chila, médaillé de bronze aux Jeux 2000 en double, qui apprécie cette collaboration aussi pour les seniors que pour les juniors : « Grâce à lui, on a également déjà organisé des stages en Chine pour nos jeunes, les portes s’entrouvrent ».

Han Hua avait reçu Le Monde au début du mois de juin dans son bureau parisien. Sur le dos, un manteau de la sélection chinoise et un survêtement aux couleurs françaises. Les vitres donnent sur les douze tables où s’entraîne l’équipe de France à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), au cœur du bois de Vincennes. Rien de comparable, assure l’entraîneur, avec la structure dont disposent les pongistes chinois à Pékin : « Eux, ils ont trois étages ; un avec vingt-quatre tables ; un autre avec encore vingt-quatre tables ; et un troisième étage avec une grande salle de musculation. »

Casser le monopole de la Chine

M. Hua a été mis à la disposition de la France avec la bénédiction de la puissante fédération chinoise de tennis de table. L’affaire s’est conclue à la suite des championnats du monde de tennis de tables organisées en mai 2013 à Paris. La Chine y avait, là encore, fait main basse sur les tournois masculin et féminin. Depuis, le technicien vit à Champigny, dans le Val-de-Marne. Sa femme fait les allers-retours Paris-Pékin, où vit fils leur fils, « sergent » dans l’armée de la République populaire de Chine.

A travers cette présence en France, un enjeu d’importance : réduire l’écart entre la Chine et le reste du monde, si important aujourd’hui qu’il pourrait à terme nuire au développement de ce sport où la délégation chinoise a remporté toutes les médailles d’or qu’elle pouvait remporter aux Jeux 2016 de Rio de Janeiro. « Il est important pour notre sport », argumente l’entraîneur, de casser ce monopole chinois. Ou, à tout le moins, d’augmenter la concurrence. Han Hua s’y était déjà essayé, plus laborieusement, en Tunisie : une décennie comme sélectionneur, de 1985 à 1995, qui lui a toutefois permis d’apprendre le français.

Pour les Français aussi, reste encore du travail sur la table de ping-pong. S’ils brillent aujourd’hui en Europe, les Bleus ont tous déçu lors des Jeux olympiques 2016. En simple mais aussi en équipe, puisque leur collectif s’était fait évincer dès le premier tour face à la Grande-Bretagne, alors même que l’attendait un prestigieux quart de finale contre la Chine. Trois plus tard, le 15 août, la Fédération française de tennis de table a pourtant reconduit Han Hua dans ses fonctions. Son contrat a été prolongé jusqu’aux prochains Jeux olympiques de Tokyo, en 2020.