Zap Comix n° 16, de Robert Crumb, S. Clay Wilson, Victor Moscoso, Rick Griffin, Gilbert Shelton, Spain Rodriguez, Aline Kominsky-Crumb, Robert Williams, Paul Mavrides, Editions Stara, 116 pages, 19 €.

Gilbert Shelton/Zap Comix/Editions Stara

Revivifier l’extraordinaire enthousiasme qui conduisit au succès des légendaires Zap Comix est une tentation permanente des survivants de l’aventure. Le mouvement underground américain, précurseur de toute la culture post-Mai 68, a fédéré, chez nous, tous les jeunes gens pressés de balayer le lugubre conformisme de la France gaulliste. Beaucoup de ceux qui se prirent au jeu de collectionner ces fascicules difficiles à trouver (merci Futuropolis !), pas seulement Zap mais des centaines d’autres titres incroyables et dévastateurs, devinrent par la suite les cadres de l’édition et de la presse de la nouvelle BD.

Ce n’est donc pas rien. Si Zap Comix surnage aujourd’hui comme titre leader de ce courant, c’est non seulement qu’il fut le premier à rencontrer son public, mais aussi que les meilleurs créateurs du temps s’y retrouvèrent. Le flair de Robert Crumb, le meilleur de tous, était sûr. Qu’on en juge : Gilbert Shelton, S. Clay Wilson, Spain Rodriguez, Victor Moscoso, Rick Griffin, Robert Williams, puis Paul Mavrides. Un casting qu’aucun autre éditeur n’a réuni. Le reste appartient à l’histoire des comix.

S. Clay Wilson/Zap Comix/Editions Stara

Zap est né peu avant les événements de Mai à San Francisco, où Crumb le vendait à la sauvette dans les rues. Ses dessinateurs travaillèrent dans toute la presse underground des années suivantes, créant eux-mêmes des séries et des titres devenus légendaires : The Fabulous Furry Freak Brothers, Fritz the Cat, Mr. Natural, Anarchy Comics, Tales from the Tube, Coochy Cooty Men’s Comics, etc. On retrouve leurs personnages dans le n° 16 de Zap Comix, publié par l’éditeur américain Fantagraphics en mars (douze ans après le précédent numéro), et que les éditions Stara viennent de traduire. La centaine de pages réunit à nouveau les sept mercenaires auxquels s’est ajoutée Madame Crumb elle-même, Aline Kominsky.

Certes, ces planches sont souvent anciennes. Hélas, Rick Griffin s’est tué en moto en 1991, un cancer a fauché Spain Rodriguez en 2012 et Clay Wilson ne dessine plus depuis qu’en 2008, une agression l’a laissé handicapé. Les autres ont poursuivi une œuvre très différente, Shelton et les Crumb se sont installés en France. On peut, avec le recul, mettre chacun à sa place : le talent d’illustrateurs de Moscoso et Griffin, les dessins d’un vrai peintre comme Robert Williams, le sens des scènes emblématiques de Clay Wilson, etc.

Robert Crumb/Zap Comix/Editions Stara

Dans la mémoire collective, Shelton et Crumb occupent une meilleure place que leurs camarades. Ce n’est pas un hasard : c’est qu’ils étaient les seuls à avoir un sens réel de la narration (Spain aussi, à un moindre degré). Les aventures des Freak Brothers de Shelton nous font rire encore aujourd’hui. Quant à Crumb, dont les histoires plus récentes sont passionnantes et composent l’essentiel de ce volume, il a raconté son époque comme aucun autre bédéaste.

Ce volume réunit des planches et des dessins dont la virtuosité peut rendre jaloux bien des auteurs contemporains. Leur esthétisme a parfois vieilli, ce qui est normal. Mais il flambe encore comme une étoile morte dont la lumière vient de nous parvenir.