Des centaines de réfugiés attendent de monter dans l'un des bus qui les emmènera vers un centre d'accueil et d'orientation (CAO), le 24 octobre 2016 aux abords de la Jungle à Calais. | OLIVIER LABAN-MATTEI/MYOP POUR "LE MONDE"

Editorial du « Monde ». La « jungle » de Calais va-t-elle disparaître ? Ou obéir, comme elle le fait depuis vingt ans, au principe même de la jungle : elle « repousse » quoi qu’on fasse ? Tardivement, mais courageusement, le gouvernement français a décidé de démanteler ce camp de personnes déplacées ou, si l’on préfère, cet immense bidonville qui a abrité, au fil des années, des dizaines de milliers de migrants décidés à entrer illégalement au Royaume-Uni.

L’opération d’évacuation, qui doit durer une semaine, a commencé lundi 24 octobre, sous protection policière, avec une noria de dizaines de bus et la mobilisation, sur place, d’un guichet de l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Au total, quelque 6 500 réfugiés sont appelés à rejoindre des Centres d’accueil et d’orientation répartis dans toutes les régions de France. Chaque catégorie de personnes concernées – adultes, mineurs isolés, familles, personnes vulnérables – se voit proposer deux destinations.

Comprendre l’évacuation de la « jungle » de Calais
Durée : 16:28

Que se passera-t-il après ? Les mineurs font l’objet d’un traitement spécial : Paris demande à Londres d’accepter ceux qui souhaitent rejoindre des parents de l’autre côté de la Manche. Les autres ? Il semble qu’ils soient destinés à faire valoir leur droit à l’asile politique ou à l’immigration économique à partir des lieux où ils vont maintenant séjourner. Mais qu’adviendra-t-il si leurs requêtes sont refusées ? On ne sait trop. Sur place, les autorités s’engagent à empêcher ce qu’elles ont toléré depuis des années : la reconstitution de campements sauvages autour de Calais.

L’histoire de la « jungle » de Calais est à écrire. Elle a été un lieu de violences et de drames, pour des gens qui fuyaient le drame et la violence. Mais elle a aussi été un lieu d’extraordinaire dévouement militant face aux carences répétées de l’Etat, un lieu d’expérimentation et d’auto-organisation. Pour nombre de réfugiés – Afghans, Somaliens, Erythréens, Soudanais, Syriens, Irakiens –, il se peut que, à cause du Brexit, le Royaume-Uni ne soit plus ce pôle d’attraction qu’il est depuis des années du fait de la souplesse de son marché du travail, d’une réputation d’ouverture et de l’universalité de l’anglais. C’est probable, mais loin d’être garanti.

Un défi pour l’Europe

La « jungle » de Calais peut aussi préfigurer l’avenir. Elle illustre ce qui attend les Européens et que leurs responsables politiques, pusillanimes, se refusent à leur dire. L’immigration ne va pas cesser. Elle commence. D’ici trente-cinq ans, la population active d’une Europe vieillissante va passer de 270 millions à 200 millions. D’ici à 2050-2060, la population de l’Afrique – 1 milliard d’habitants aujourd’hui – pourrait doubler…

Des chiffres à mettre en rapport les uns avec les autres et qui mènent à cette conclusion : les « jungles » de Calais ou d’ailleurs pourraient se multiplier. Sauf à ce que les pays de l’Union européenne comprennent enfin que l’Europe se reconstruira sur ce défi : la gestion et l’intégration d’une partie du grand flux migratoire qui va marquer ce siècle. L’investissement est énorme : centres d’examen des demandes installés dans les pays de départ ; sommets annuels entre l’UE et ces derniers pour définir ce qui est possible et ce qui ne l’est pas en matière d’immigration. Enfin, chez nous, réforme de l’Etat-providence pour qu’il s’adapte à cette belle mais difficile mission qu’est l’intégration. Le reste, tout le reste, est secondaire.