Catherine Cattaruzza entretient avec le Liban un lien intime. Sur cette terre tourmentée à laquelle elle se sent appartenir, la photographe et artiste visuelle française a passé son enfance, puis est revenue vivre, à 25 ans. Depuis l’hiver 2015, elle sillonne, objectif à la main, la frontière sud du pays, celle qui le sépare d’Israël. Longue de 80 kilomètres, « infranchissable », « empreinte de nostalgie », « schizophrénique », « où par endroits la nature a pris le dessus sur la démarcation physique ».

La photographe a tenu à rester « au plus près » de cette ligne, gardant l’immersion dans les villages pour d’autres étapes de ce travail sur les « paysages poétiques et politiques ». Dans cette zone, plusieurs délimitations se côtoient. Parmi elles, la « ligne bleue », frontière provisoire définie sous les auspices de l’ONU en 2000, qui reste l’objet de contentieux entre le Liban et Israël, deux pays toujours en état de guerre, en tout cas deux nations sans relations officielles.

« Comment représenter une zone de guerre latente ? Le sud du pays est une région qui peut être dangereuse, mais où les gens vivent, envers et contre tout. » Catherine Cattaruzza

Si le terme de poudrière a perdu de son pouvoir à force d’être utilisé, il décrit pourtant bien cet endroit : depuis la dernière guerre – en 2006, entre le Hezbollah et Israël –, plusieurs incidents violents s’y sont déroulés, réveillant la peur d’un embrasement. Mais sur cette terre magnifique semée de champs d’oliviers et de tabac, il y a aussi « la vie, la joie, malgré les souffrances » des gens du Sud, qui ont subi de trop nombreux conflits ainsi qu’une longue occupation par Israël (1978-2000).

« Comment, se demande alors la photographe qui vit aujourd’hui entre le Liban et la France, représenter une zone de guerre latente ? Le sud du pays est une région qui peut être dangereuse, mais où les gens vivent, envers et contre tout. C’est un paysage qui paraît si paisible, où les territoires s’imbriquent par endroits, au point que parfois on ne sait plus où l’on est. »

C’est ce paradoxe que Catherine Cattaruzza met en avant dans ses images en noir et blanc. Le long de la route frontalière méridionale quadrillée par les blindés de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) et surveillée par des radars israéliens, elle montre la séparation dans ce qu’elle a de plus ténue : des barbelés.

Entre les villages frontaliers d’Adaisseh et de Kfar Kila au sud-est, le regard plonge vers le territoire israélien ; le promontoire, en bord de route, est un lieu de vie et de visite, où se mêlent les générations, dont les plus anciennes ont arpenté, avant 1948 et la naissance de l’État d’Israël, les terres qui se déploient sous leurs yeux. Au Jardin d’Iran, qui surplombe les étendues de la Galilée à la pointe sud-est, les visiteurs viennent regarder ce qu’ils nomment, pour la plupart, la « Palestine occupée ». Dans ce lieu de tourisme militant financé par Téhéran, la photographe raconte aussi « l’ambiance festive » des familles déjeunant sous les paillotes, entre les jeux pour enfants et la représentation de la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem.

Un terrain difficile

Mais la zone, encore meurtrie par la présence de mines israéliennes, a des visages plus durs. Aux habituels portraits de leaders du Hezbollah, artisan de la libération du Sud en 2000 par sa longue guérilla contre Tsahal et ses supplétifs, Catherine Cattaruzza préfère un drapeau effiloché, claquant au vent. Ou une rangée de pylônes « dépouillés de leurs fils électriques par les Israéliens lorsqu’ils sont partis ».

Voir aussi : les images de Catherine Catherine Cattaruzza

Il n’est pas toujours évident de prendre des photographies dans le sud du Liban. Un objectif provoque facilement les suspicions. L’accès des étrangers est contrôlé par l’armée libanaise et le Hezbollah y exerce une surveillance aussi discrète qu’étroite. Catherine Cattaruzza, qui avait déjà réalisé dans les années 2000 un travail vidéo sur ces frontières, a pour atout d’engager la discussion en arabe avec ceux qu’elle rencontre, et d’aimer prendre son temps. Ses images sur la séparation – et les situations parfois absurdes qu’elle entraîne – sont aussi, en abyme, une réflexion sur l’appartenance.