Propos recueillis par Jérôme Fenoglio et Arnaud Leparmentier

On observe le succès d’Alain Juppé dans les sondages et le décrochage de Sarkozy : est-ce qu’en réalité les Français n’ont pas envie d’apaisement ?

Je crois qu’il y a un vrai rejet sur Sarkozy, qui tient pour certains à sa politique, pour d’autres à sa personnalité, pour d’autres au fait qu’il aurait dû réussir, qu’il n’a pas réussi et qu’il a déçu. Normalement, en termes de couloir politique, nous sommes assez alignés lui et moi, dans une logique de droite plutôt bonapartiste, même si ce terme a beaucoup vieilli. C’est aussi ce qui explique que mon score soit très faible. Les gars disent : « Son temps viendra, mais pour l’instant, on est plutôt pour Sarkozy. »

Donc la ligne de Sarkozy est la bonne ?

Ce qui l’emporte, c’est le rejet de sa candidature, plus que le rejet de sa ligne, même si la manière dont il fait campagne caricature cette ligne. Les gens ne sont pas, loin s’en faut, des ignares, et il a utilisé une formule épouvantable pour qualifier les gens. En réalité, ils veulent de l’ordre, de l’autorité, et ils veulent probablement plus de liberté économique, parce qu’ils voient bien que tout est enserré et étouffé. Cette ligne, que je défends, l’emportera un jour. Le débat est un peu tronqué, parce que le match est très cristallisé entre Juppé et Sarkozy, et je vois que le pourcentage de gens qui soutiennent Juppé pour ne pas avoir Sarkozy est extrêmement élevé.

Cela veut dire qu’il y aura une désillusion sur le programme Juppé une fois Sarkozy éliminé ?

Cela dépend de qui il s’entoure.

C’est-à-dire ?

L’alchimie va se construire, si Juppé l’emporte, entre les mois de novembre et mai. La manière dont il construira sa campagne présidentielle, les personnalités qu’il choisira d’avoir à ses côtés, la manière dont il comprendra très vite qu’une fois gagné face à Sarkozy tout reste à faire, tout cela déterminera sa capacité à l’emporter ou pas. Je commence à être un habitué des campagnes présidentielles. La grave erreur, c’est de sous-estimer son adversaire. En 2012, Sarkozy l’a fait et on en a vu le résultat. Si Juppé sous-estime ses adversaires, il ne gagnera pas.

Cela signifie que Juppé devra réconcilier les droites ou faire une ouverture à gauche pour élargir son assise face à Marine Le Pen ?

Je ne crois pas du tout à cette deuxième option. « L’UMPS » est un virus mortel. On est élu sur une ligne politique, cette ligne politique ne fait jamais 100 % des voix. En démocratie, elle fait au mieux 51, 52, 53. Et même si elle devait en faire plus facilement du fait d’une finale face au Front national, rien ne serait pire que de rentrer dans une logique où l’on renonce à l’alternance droite-gauche. En le faisant, on crée les conditions d’une alternative UMPS d’un côté, FN de l’autre, et elle est mortelle pour 2022.

Quel est le point le plus important dont vous voudriez convaincre Alain Juppé ?

Nous avons un énorme point commun, Juppé et moi, c’est le gouvernement par ordonnances. Nos institutions nous permettent d’avoir à la tête du pays un président qui a le plus de pouvoir de faire, or il est celui qui en fait le moins. Comme s’il s’excusait des pouvoirs dont la Constitution le dote. Nous passons l’essentiel du quinquennat à nous demander si nous devons mettre en œuvre une part du plan pour lequel on a été élu, et puis c’est trop tard, parce qu’au bout de six mois, tous les bêtabloquants se sont remis en place : la CGT, les gauchistes, etc., et on ne fait plus rien.

Pour expliquer votre faible score, n’êtes-vous pas trop libéral sur le plan économique pour les Français, et très autoritaire sur un certain nombre de sujets régaliens où la place est déjà incarnée par Marine Le Pen ?

Oui. Cette analyse est parfaite. Mais je ne changerai pas pour autant. Si, en termes d’image, je parais très autoritaire comme Marine Le Pen, mes solutions sont beaucoup plus efficaces que celles de Marine Le Pen, qui n’en propose pas. Mes propositions sont précises, chiffrées, et revendiquent un virage régalien. 50 000 postes dans la police, la gendarmerie, la justice, les gardiens de prison, les militaires pour réorganiser l’appareil d’Etat. Je n’ai jamais entendu Marine Le Pen le proposer. De la même manière, sur le plan économique, je suis, non pas ultralibéral, mais favorable à une liberté économique assumée. Ce pays se meurt de ses 56 % de dépenses publiques sur PIB, de ses 47 % d’impôts sur PIB. On ne peut plus continuer comme ça. Je l’assumerai jusqu’au bout et j’en prends le risque.

Propos recueillis par Jérôme Fenoglio et Arnaud Leparmentier