Documentaire sur Arte à 22 h 35

Le réalisateur britannique Ken Loach avec sa deuxième Palme d’or pour « Moi, Daniel Blake » au 69e Festival de Cannes, le 22 mai 2016. | ALBERTO PIZZOLI/AFP

Il y a cinquante ans, un jeune réalisateur déclenchait un débat national au Royaume-Uni. Kenneth Loach, 30 ans, avait détourné la dramatique du mercredi de la BBC de sa vocation à distraire plaisamment les spectateurs : Cathy Come Home (« Cathy, rentre à la maison ») mettait en scène une mère de famille luttant pour garder ses enfants, face à des services sociaux incapables de lui procurer un logement.

Considéré aujourd’hui comme l’une des œuvres majeures de l’histoire de la télévision britannique, le film força, fin 1966, le gouvernement travailliste d’Harold Wilson à admettre publiquement l’acuité de la crise du logement. Ce fut aussi une étape essentielle de la formation de Ken Loach, qui fut invité à rencontrer le ministre du logement à Whitehall, et ressortit de l’entrevue avec la conviction que les réformistes étaient incapables d’entreprendre de vraies réformes.

Cet épisode central dans le parcours de l’auteur de Moi, Daniel Blake, qui sort le 26 octobre, est raconté dans Ken Loach, un cinéaste en colère, de Louise Osmond (sorti en salles au Royaume-Uni). On se doute bien que ce film, produit par Rebecca O’Brien, qui accompagne le cinéaste depuis un quart de siècle, n’est pas destiné à déboulonner la statue du réalisateur.

« Moi, Daniel Blake » : quand l’Etat punit les pauvres
Durée : 03:42

Mais la culture de Ken Loach, mélange de marxisme et de rigorisme protestant, ne peut que le porter à l’autocritique. Ce n’est pas la moindre surprise du film que de l’entendre avouer que, lycéen, il a mené la campagne du Parti conservateur lors d’une élection factice ou – plus sérieusement – expliquer pourquoi et comment il a accepté de réaliser des publicités (entre autres pour McDonald’s) dans les années 1980, lorsque sa carrière était au plus bas.

Lire la critique de « Moi, Daniel Blake »  : Les humbles contre l’humiliation

Louise Osmond fait de ce documentaire un roman d’apprentissage. On voit comment l’étudiant d’Oxford issu du prolétariat a tourné le dos aux mouvements culturels dominants de son temps (la nouvelle vague du cinéma britannique qu’incarnaient Tony Richardson, Lindsay Anderson ou Karel Reisz, mais aussi la révolution pop emmenée par les Beatles) pour se consacrer à la chronique de la lutte des classes, sur le mode de la fiction ou du documentaire. Ses rencontres avec le producteur Tony Garnett, avec l’écrivain et scénariste trotskiste Jim Allen, ses passes d’armes avec les autorités de l’audiovisuel, l’ont poussé vers les marges de l’industrie du cinéma britannique jusqu’à l’empêcher de travailler pendant plusieurs années.

Au début des années 1990, il établit les règles de travail et constitue la communauté (le scénariste Paul Laverty, Rebecca O’Brien, quelques acteurs parmi lesquels Peter Mullan) qui ont guidé son travail de Secret Défense (1990) jusqu’à Moi, Daniel Blake, qui lui a valu sa seconde Palme d’or, après celle remportée en 2006 par Le vent se lève.

Lire la rencontre avec Ken Loach  : « Si on ne se bat pas, qu’est-ce qui reste ? »

Pour en savoir plus sur la fabrication des films de Loach, on trouve, sur le site d’Arte, un documentaire interactif, La Méthode Loach, réalisé pendant le tournage de son dernier long-métrage. On comprend mieux le processus du casting (Loach emploie des acteurs professionnels, la plupart du temps inconnus, certains ne le restent pas après être passés devant son objectif), du tournage (les séquences sont tournées dans l’ordre chronologique du scénario), de la direction d’acteur (les comédiens sont souvent tenus dans l’ignorance du scénario, afin d’obtenir les réactions les plus naturelles au gré des péripéties)…

Une fois vus ces deux documents, il ne reste plus qu’à remonter le fil de cette œuvre, qui est, entre autres, une peinture méticuleuse du bouleversement des rapports de classe au Royaume-Uni, de Moi, Daniel Blake jusqu’à Cathy Come Home.

« Moi, Daniel Blake », de Ken Loach : l’avis des critiques du « Monde »
Durée : 04:01

Ken Loach, un cinéaste en colère, de Louise Osmond (GB, 2016, 90 min).