Cette semaine, on remonte le temps en se laissant conter par Sylvain Prudhomme la légende de deux frères rivaux dont les vies se consument dans l’insouciance des années 1980, on plonge dans l’espoir et l’effroi des écritures ouvrières du XXe siècle grâce à l’essai de l’historien Xavier Vigna, on se promène dans la langue de Michel Deguy mêlant philosophie et poésie et on écoute les cris de guerre de l’écrivain américain Jerome Charyn.

ROMAN. « Légende », de Sylvain Prudhomme

Gallimard

La Crau, désert venteux de Provence, années 80. Deux frères aussi dissemblables que possible, en rivalité perpétuelle, y vivent et fréquentent une boîte de nuit alors fameuse, la Chou. Ils incarnent « une certaine liberté (…), un joyeux je-m’en-foutisme (…) à mille lieues de l’obsession contemporaine de la vie saine », avant que le sida ne mette fin à cette insouciance. Sylvain Pruhdomme raconte des vies dont on ne sait si elles sont en elles-mêmes exemplaires et exceptionnelles, ou si c’est le regard généreux de l’écrivain qui y décèle des traits légendaires, parce que « ça nous nourrit d’aller voir de près la vie de ceux qui ne sont plus, de la redérouler sous nos yeux, d’en scruter les détails, de se demander ce qu’ils ont vécu, à quels moments ils ont été heureux, puis malheureux, puis de nouveau heureux. Ce qu’ils ont pensé avant de mourir ». Florence Bouchy

Légende, de Sylvain Prudhomme, Gallimard, « L’arbalète », 302 p., 20 €.

ESSAI. « L’Espoir et l’Effroi. Luttes d’écritures et luttes de classes en France au XXe siècle », de Xavier Vigna

La Découverte

L’historien Xavier Vigna, dans L’Espoir et l’Effroi, propose une histoire politique des écritures ouvrières. Il s’empare pour cela d’un gigantesque flot d’écrits. Il y a d’abord les autobiographies, témoignages, fictions et récits militants, au total près de 250 volumes en langue française. Mais à ces écritures de la classe ouvrière, le chercheur ajoute celles portant sur la classe ouvrière en elle-même : rapports, enquêtes, romans, archives des administrations et des organisations syndicales. Sondant cette littérature proliférante pour mettre à nu les affrontements de classes qui jalonnent le XXe siècle, il tente d’élucider l’« énigme sociale et politique » qu’est la classe ouvrière, entre la fascination éprouvée pour ces héros de l’émancipation et la répulsion ressentie face à ces barbares intérieurs. Antoine de Baecque

L’Espoir et l’Effroi. Luttes d’écritures et luttes de classes en France au XXe siècle, de Xavier Vigna, La Découverte, 304 p., 24 €.

POÉSIE. « La Vie subite. Poèmes Biographèmes Théorèmes », de Michel Deguy

Galilée

Dans la continuité d’une œuvre prolifique qui mêle philosophie et poésie, Michel Deguy publie deux livres qui se complètent avec justesse. Dans La Vie subite, Deguy excelle dans l’art de se promener à travers la langue. Trois sections en constituent l’armature : des « Poèmes », pour approfondir le sens du présent ; des « Biographèmes », où l’écrivain évoque la fabrique du texte ; enfin, dans la dernière partie du livre, « Théorèmes », il y dévoile son attente essentielle de la poésie : qu’elle puisse « faire écouter-voir, à beaucoup, “la beauté du monde”, qu’il y a ». L’autre ouvrage qui paraît conjointement, Noir, impair et manque, restitue un dialogue entre Michel Deguy et Bénédicte Gorrillot. Dans ces pages vivantes et savantes, on retrouve le goût de Deguy pour l’improvisation et l’invention. L’écrivain s’y montre tranchant, percutant, honnête. L’écriture de la vie et la vie de l’écriture y sont constamment mises en perspective. Amaury da Cunha

La Vie subite. Poèmes Biographèmes Théorèmes, de Michel Deguy, Galilée, « Lignes fictives », 240 p., 18 €.
Noir, impair et manque. Dialogue avec Bénédicte Gorrillot, de Michel Deguy, Argol, « Les singuliers », 292 p., 29 €.

ROMAN. « Cris de guerre avenue C », de Jerome Charyn

Mercure de France

Paru en 1985 aux Etats-Unis, War Cries Over Avenue C vient d’être traduit en France. Charyn y renoue avec le Lower East Side, quartier de Manhattan déjà décor et poumon de son premier roman, publié en 1964 (Il était une fois un droshky, Denoël, 1996). Excentricité dans le romanesque, bizarreries dans la logique narrative, nature dansante d’un texte où s’entrecroisent d’éternels fiancés, un vétéran du Vietnam atteint de sévères troubles post-traumatiques, une baronne française, un ancien dompteur d’ours, ainsi que des doubles ou triples agents des services secrets. « Le Monde des Livres » a rencontré l’auteur pour en parler : à lire dans l’édition datée du 27 octobre. Macha Séry

Cris de guerre avenue C (War Cries Over Avenue C), de Jerome Charyn, traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Chénetier, Mercure de France, 448 p., 25,80 €.