L’entrée du Campus numérique francophone (CNF) à Antananarivo. | DR

Bienvenue au Campus numérique francophone (CNF) de Madagascar, qui vient de fêter ses vingt-cinq ans d’existence. En contrebas de l’université ­d’Antananarivo, un peu à l’écart, le bâtiment ne paie pas de mine. Il faut descendre un escalier escarpé, qui s’ouvre sur la colline d’en face, un quartier populaire aux maisons colorées. A l’intérieur, la concentration est palpable. Seule une voix s’échappe d’une télévision à écran plat. Francophonie oblige, un instructeur à l’accent québécois prodigue des conseils sur l’insertion professionnelle. Quelques étudiants écoutent d’une oreille distraite en pianotant sur leurs tablettes et leurs smartphones.

Des étudiants déterminés

Le CNF propose un accès à Internet, des ressources et des cours en ligne. Il est l’un des 37 lieux de ce type dans le monde, financé par l’Agence universitaire de la francophonie (AUF). Pour cette organisation, qui rassemble plus de 800 universités francophones de tous les continents, c’est le moyen de combler la fracture numérique. Un réel défi dans un pays où 4 % des ménages seulement ont accès à Internet, mais où la crise économique n’entame pas la détermination des étudiants, au contraire.

4 % des ménages malgaches seulement ont accès à Internet

Ange Rakotomalala, la responsable, dirige la visite des locaux, prêtés par l’université d’Antananarivo. La quarantaine souriante, elle est un exemple vivant de la différence que peut faire le numérique dans un pays en développement. « Je voulais être journaliste, dit-elle. Puis le virus des TIC m’a piqué  !  » Comprendre «  technologies de l’information et de la communication  ». En 2003, elle est l’une des pionnières à suivre une formation diplômante à distance, sans quitter Madagascar. En l’occurrence, un master en ingénierie de l’information de l’université de Strasbourg. « J’ai enchaîné avec huit ans de tutorat, mais c’était ­assez chronophage.  » Huit ans à encadrer d’autres étudiants éparpillés sans jamais les rencontrer. Qui mieux qu’elle pour diriger un tel endroit  ?

Dans un coin de la salle d’accueil, ils sont plusieurs agglutinés sur trois ordinateurs d’un autre âge en ­accès libre. Ibrahima, un étudiant en biochimie de 25  ans, fréquente le CNF lorsqu’il n’a pas cours.

«  Ici, j’ai accès à 30  000 livres numériques », lance-t-il. Ibrahima vient des Comores, au nord de Madagascar, où la formation qu’il suit n’existe pas. « Je fais aussi des cours sur YouTube. Sur la virologie, la microbiologie. Ici, ­Internet marche bien, ailleurs ce n’est pas possible  », précise-t-il.

A ses côtés, Jean-Guy, 27 ans, termine son mémoire de master de droit. « J’ai un ordinateur chez moi, mais pas de connexion  », lâche-t-il, avant de ­replonger derrière son écran.

Fibre optique raccordée

«  La fracture numérique reste une réalité à Madagascar, explique le directeur de l’AUF pour l’océan ­Indien, Philippe Bataille. D’autant que la technologie ne cesse d’évoluer.  » Face aux besoins en bande passante qui augmentent considérablement, l’AUF a accompagné les universités malgaches pour les raccorder à la fibre optique. Grâce à un partenariat noué sur vingt-cinq ans avec un opérateur téléphonique national, c’est chose faite depuis 2013.

Le ministère de l’enseignement supérieur compte désormais ­installer des bornes Wi-Fi en accès libre aux étudiants, mais ses caisses sont vides. «  Les ambitions de ce programme ont dû être revues à la baisse  », se ­désole Panja Ramanoelina, le président de l’université d’Antananarivo. Pour l’instant, une seule université, dans l’est de l’île, est équipée.

Les étudiants se sont néanmoins organisés. La plupart des associations étudiantes ont monté leurs ­propres cybercafés. Il faut compter 200 ariarys (0,05 euro) les dix minutes. Au milieu de toute cette débrouille quotidienne, le CNF est d’un certain ­secours pour accéder à une connexion Internet de qualité. «  On fait payer 500 ariarys [0,15 euro] par jour, on ne veut pas faire de concurrence déloyale, explique la responsable du centre. Et on n’est pas qu’un cybercafé   : ici les étudiants ont accès à des ressources numériques, à des ­bases de données documentaires, à des formations en ligne, ou encore à des conseils d’orientation. »

Formations en ligne

Ange poursuit la visite. Dans l’une des salles, une vingtaine d’étudiants sont rivés à leurs écrans. «  On est au max !  », lance Brice, un étudiant de 29  ans aux faux airs d’Elvis Presley. Ils font partie du projet «  Open Street Map  » qui tient sa réunion hebdomadaire ce jour-là. «  On développe une application sur Android qui sera lancée au moment du Sommet de la francophonie  », les 26 et 27 novembre, dans la capitale malgache. Il leur reste un mois.

Rapide recensement à main ­levée  : la moitié des étudiants présents dans la salle a un smartphone. Et deux, seulement, un ordinateur portable, dont Rija. Il vient deux à trois fois par ­semaine au CNF : «  Je suis inscrit à une dizaine de MOOC  », les cours en ligne.

Il faut compter 70 euros pour une inscription à une formation en ligne, c’est deux fois le salaire minimum

Tout juste diplômé en topographie, Rija a décidé de prendre une année sabbatique, «  pour se laisser [avoir] des idées  ». Il vit en résidence universitaire, qu’il paie 7  000 ariarys (2 euros) par an. Pour ses MOOC, choisis sur Coursera.fr, il télécharge les contenus au CNF, les regarde chez lui, et fait les tests en ligne le lendemain, au centre. «  Je suis inscrit en candidat libre, parce que je n’ai pas l’argent pour le certificat.  » Il faut compter 70 euros par MOOC, deux fois le salaire minimum à Madagascar. «  Donc je ne peux pas les mettre dans mon CV  », poursuit-il, scrupuleux.

Du manque de moyens des universités aux poches des étudiants, l’impact de la crise malgache est manifeste. Depuis le coup d’Etat de 2009, cinq ans de transition politique ont asphyxié l’économie. Les bailleurs de fonds internationaux ont gelé leurs ­contributions, ce qui a durement affecté les secteurs de la santé et de l’éducation, pourtant prioritaires. Le pouvoir d’achat a plongé. En 2015, 90 % de la population vivait avec moins de 2 dollars par jour, selon la Banque mondiale.

Lien avec le monde de l’entreprise

Même si l’enseignement supérieur n’est accessible qu’aux classes privilégiées, Ange note une baisse de fréquentation des formations en ligne. Celles qui, dans d’autres campus numériques africains, connaissent un engouement. «  En général, 350 personnes s’inscrivent en début d’année aux différentes formations, pour tout Madagascar. Mais une cinquantaine d’étudiants vont vraiment pouvoir les suivre, car, au moment de payer, ils se rendent compte qu’ils ne peuvent pas rassembler l’argent  », explique-t-elle.

Ces contraintes ne l’empêchent pas de fourmiller d’idées. Comme celle d’installer dehors, dans la cour, à la rentrée prochaine, de grandes tables sous abri équipées de bornes Wi-Fi. « L’idée, c’est de devenir un fab-lab [laboratoire de fabrication], un tiers lieu, pour mieux faire le lien avec le monde du travail, l’employabilité des étudiants. C’est ce que nous ­demandent les entreprises.  »

Ange évoque aussi les quarante ordinateurs portables que vient de recevoir le CNF et des possibilités que cela va offrir. Tout à coup une coupure de courant plonge tout le monde dans le noir. « Sur le toit, on va mettre des panneaux solaires, pour améliorer la sauvegarde des données  », ajoute-t-elle sans se démonter. A la saison des pluies, les coupures durent parfois de cinq à six heures. C’est dommage pour un campus, surtout quand il est numérique.

L'enseignement supérieur en Afrique : les vrais chiffres
Durée : 02:04

Le Monde Afrique organise les 27 et 28 octobre, à Dakar, la troisième édition de ses Débats avec pour thème, cette année, les défis de l’éducation supérieure en Afrique. Il y sera question des universités, de l’adéquation des filières actuelles avec les besoins des entreprises, de l’innovation technologique au service de l’éducation et de la formation des leaders africains. L’entrée est libre, sur inscription. Cliquez ici pour consulter le programme et vous inscrire.