Karl Lagerfeld a beau affirmer que « personne n’a envie de voir des femmes rondes sur les podiums », au Nigeria, la majorité des créateurs de mode préfèrent au contraire des modèles aux courbes généreuses.

A l’ouverture de la Fashion Week, mercredi 27 octobre, à Lagos, cinq stylistes ont présenté leur collection « grandes tailles » lors de défilés célébrant le corps de la femme sous toutes ses formes. « Chacun peut penser ce qu’il veut, mais s’il était en Afrique, Lagerfeld ne pourrait probablement pas faire ce genre de déclaration », assure la styliste Aisha Abubakar Achonu, en coulisses des défilés.

Pour cette créatrice majestueuse de 32 ans aux yeux félins, au Nigeria, plus c’est grand, mieux c’est : « Notre culture apprécie les grandes tailles bien plus que dans d’autres parties du monde, dit-elle. Aucune femme ne devrait être soumise au diktat d’un look particulier. »

La plupart de ses compatriotes semblent d’accord. Quand les spots s’allument et qu’un premier mannequin bien enrobé arpente la passerelle avec prestance, lunettes de soleil et rouge à lèvres vif, la foule se déchaîne.

Dans les coulisses de la Fashion Week de Lagos, le 26 octobre 2016. | STEFAN HEUNIS/AFP

Contrairement à leurs consœurs à taille de guêpe qui les ont précédées, les mannequins XL s’approprient le podium avec brio, envoient des baisers aux caméras et défilent sous les clameurs enthousiastes et les applaudissements.

Les serveurs aux chemises immaculées et empesées perdent tous leurs moyens et sifflent ou crient « mama ». « Oh, mon Dieu ! », s’exclame une mince jeune femme dans le public, coiffure afro et boucles d’oreille en or. « Wow ! »

Une mode en plein essor

Le mannequin Olivia Emenike, 1,80 m et taille 48, affirme s’être sentie « fabuleuse » sur le podium et confesse son admiration pour le model américain grandes tailles Ashley Graham et la starlette Kim Kardashian.

« Je n’ai jamais été embarrassée par mes gros os ou mes larges cuisses. Personne ne devrait se sentir honteux de son physique, souligne la jeune femme de 25 ans. Je voulais participer à cet événement et démontrer que les femmes qui portent des vêtements de grandes tailles peuvent être à la mode. »

Plusieurs marques de prêt-à-porter branchées comme Target ou Mango vendent désormais dans leurs boutiques des vêtements « grandes tailles » alors que ceux-ci ont longtemps été jugés ringards.

L’actrice américaine Melissa McCarthy, elle, a décidé de créer sa propre ligne de vêtements lorsque, en 2012, aucun styliste n’a voulu lui confectionner une robe pour la cérémonie des Oscars. « Les vêtements devraient flatter notre corps, et pas seulement essayer de le cacher », s’est insurgée l’actrice.

Dans les coulisses de la Fashion Week de Lagos, le 26 octobre 2016. | STEFAN HEUNIS/AFP

La création de vêtements « grandes tailles » est également devenue une entreprise florissante : aux Etats-Unis, leur vente a généré l’équivalent de 18,6 milliards d’euros, selon NPD Group, spécialiste des études de marché.

En Afrique aussi, la demande accrue de vêtements pour les rondes a incité les créateurs à se lancer sur ce marché.

« Elles voient une femme ronde comme moi, regardent mes robes et disent “je peux m’identifier à ça” » , relève la styliste Makioba Olugbile, qui a créé une spectaculaire collection en noir et blanc. « Vous ne pouvez même pas imaginer, dit-elle les yeux brillants, maintenant les grandes tailles sont acceptées. »

« Pourquoi es-tu si mince ? »

« J’ai vu certains mannequins qui défilaient et j’avais envie de dire “allez-y les filles !” » , se réjouit une jeune modèle de 18 ans, Aduke Shitta-Bey, qui porte une robe de dentelle blanche, les cheveux attachés en queue-de-cheval. « Les Nigérians apprécient les courbes, dit-elle. Ils disent : “Pourquoi es-tu si mince ?” Ils trouvent qu’être rond, c’est sain, c’est la beauté nigériane. ».

Le défilé XL a été organisé par Latasha Ngwube, une ancienne journaliste de 33 ans qui a créé un site web (About That Curvy Life) consacré aux rondes et « destiné à inspirer et à soutenir la communauté des grandes tailles ».

Latasha Ngwube a commencé à utiliser le hashtag #AboutThatCurvyLife lorsqu’elle couvrait la mode. Aujourd’hui, son site reçoit plus de 15 000 visites par semaine. « C’est la naissance d’un mouvement, jubile-t-elle. Ce n’est pas seulement de la mode, c’est le fait d’être positif vis-à-vis de son corps, c’est la liberté de pouvoir désirer être belle. »

Pour elle et pour beaucoup d’autres, l’avènement d’une mode pour les rondes est une libération. « C’est mon devoir d’éduquer les gens à travers le langage de la mode, ajoute la jeune femme. Et je pense que nous n’en sommes qu’au début. »