Ecouteurs dans les oreilles, téléphone portable à la main, il fait les cent pas dans la cour. Les journalistes viennent d’arriver, des participants manquent à l’appel, et l’événement sportif du week-end a du mal à se lancer sur les réseaux sociaux. Polo bleu, jean noir et baskets blanches, Chems-Eddine Bezzitouni est nerveux : à seulement 26 ans, encore étudiant en doctorat de sciences politiques, il est à la tête de l’événement Seedstars Algérie, une compétition de start-up qui se tient jusqu’au samedi 29 octobre.

L’initiative est en réalité mondiale. Elle est organisée dans plus de 50 pays, en particulier émergents, par Seedstars World, une organisation basée à Lausanne, qui veut aider à réduire le chômage en développant l’entreprenariat. En 2015, le projet gagnant, une application mobile sud-africaine pour le recrutement, a remporté 500 000 dollars de prix et une levée de fonds.

« Excellent niveau d’analyse »

A Alger, cette année, Chems-Eddine Bezzitouni a réuni en l’espace de quelques semaines des porteurs de projets, des formateurs et des sponsors pour élire le meilleur projet de start-up. Parmi les douze concurrents : une application pour localiser la pharmacie ouverte la plus proche, une solution de e-paiement ou encore une plateforme collaborative intra-entreprise. Organisé à l’hôtel Sofitel, dans le centre de la capitale algérienne, le dernier jour de la compétition réunira, samedi, plusieurs centaines d’entrepreneurs, d’acteurs des nouvelles technologies, mais aussi des PME, et les représentants de grands groupes privés.

« C’est incroyable ce qu’il a réussi à faire ! », reconnaît Sofiane Chaib, employeur du jeune homme et patron d’Intuition, un groupe très en vue qui allie formations en langues et soutien aux jeunes entrepreneurs. « Chems a un excellent niveau d’analyse, il a une solution pour chaque problème et, surtout, il sait s’entourer de gens très compétents », explique le chef d’entreprise.

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A bien des égards, la trajectoire de Chems-Eddine Bezzitouni est à l’image du pays : entre dynamisme de sa jeunesse et terrible lourdeur de son administration. Fils d’une haut fonctionnaire et d’un militaire, il est arrivé à l’entreprenariat par hasard. « J’ai fait des études à HEC parce que c’était à la mode et parce que c’était en français », raconte-t-il. A la fin de son master en management, il n’est pas retenu pour poursuivre en doctorat. Il se destine à l’enseignement, et accepte un emploi dans une école de langues où il est amené à promouvoir le test d’anglais, Toeic, auprès d’un organisme nouvellement créé par l’Etat : un incubateur de start-up dans le quartier de Sidi Abdellah. Dans cet immense bâtiment circulaire, isolé en périphérie d’Alger, le responsable lui propose un poste : « J’ai accepté par défi. Il avait utilisé le mot incubateur et je ne savais pas ce que c’était. »

Pendant plus d’un an, Chems-Eddine se confronte à l’administration publique. En costume-cravate toute la journée, il se bat pour dynamiser le soutien aux créateurs d’entreprises. Non sans peine : il doit obtenir l’autorisation de ses supérieurs hiérarchiques pour la moindre initiative. « Il a quand même réussi à révolutionner l’incubateur, se souvient le responsable d’une start-up. Il a créé de l’animation, lancé des partenariats avec des ambassades, poussé des jeunes à participer à des concours. Mais il devait communiquer avec des responsables qui ne sont pas de son âge. » « J’ai appris à traiter avec l’Etat. Aujourd’hui, je sais parler à un ministre sans le heurter », reconnaît le jeune homme avec un large sourire.

Des réussites à prendre en exemple

En 2015, il se lance seul dans l’organisation de Seedstars Algérie. « C’est passé complètement inaperçu, s’amuse-t-il. L’événement est pourtant un déclic : il s’y est senti bien plus à l’aise que dans son travail. Il quitte donc l’incubateur et son poste de fonctionnaire. En moins d’un an, il obtient la confiance de jeunes entrepreneurs comme de hauts responsables. Ceux qui ont travaillé avec lui confirment son impact sur la société. « Plus d’entrepreneurs, c’est la possibilité de plus d’innovation et de plus de créations d’emplois. Nous en avons vraiment besoin dans le climat économique actuel », souligne l’un de ses amis.

Aujourd’hui, Chems-Eddine Bezzitouni est responsable d’une filiale du groupe Intuition chargée de la formation de jeunes talents : « Notre faiblesse est notre système éducatif et notre université. Il faut former davantage les jeunes talents du pays si on veut qu’ils puissent, plus tard, être source d’innovation », déplorant la faiblesse des investissements dans l’innovation : « Où est le budget recherche et développement des entreprises ? Au lieu d’investir dans quinze idées, pour en obtenir une bonne, les entrepreneurs ont tendance à n’investir que dans un seul projet, par crainte. » Lui veut aider à créer de belles réussites innovantes que les jeunes chefs d’entreprises algériens pourraient prendre en exemple. En songeant à son expérience au sein de l’administration, il reprend la devise de Seedstars et lance en souriant : « Ils ont voulu nous enterrer, ils ne savaient pas que nous étions des graines ! »