A Madagascar, enseigner la médecine est un marathon permanent. Sous-effectif oblige, les 70 professeurs de l’Université d’Antananarivo sillonnent les cinq autres facultés réparties sur un territoire grand comme la France, pour former plus de 7 000 aspirants médecins. « Quand on enseigne en province, on fait notre cours en deux ou trois semaines, à raison de huit heures par jour », explique d’un ton calme l’un de ces « enseignants missionnaires », Guy Raoelison.

Casse-tête d’organisation

« C’est une situation insupportable, tant pour les enseignants que pour les étudiants », ajoute Pierre Pacaud, un expert technique rémunéré par la coopération française. Lunettes carrées et chemise à carreau, cet enseignant français a élu domicile dans l’un des bureaux de la faculté vieillissante de la capitale malgache, un bâtiment de brique et de béton armé achevé à l’indépendance, en 1960. Sa mission : explorer des solutions numériques à des problématiques bien physiques.

Avec 6 000 praticiens pour 23 millions d’habitants, la Grande Ile est, comme les autres pays de la région, en cruel manque de médecins. Et parce que les deux tiers d’entre eux sont regroupés à Antananarivo, le gouvernement a ouvert en 2014 quatre nouvelles facultés de médecine en province, pour favoriser la formation de candidats locaux. Pour les enseignants, le nombre d’heures passées en taxi-brousse sur des routes tortueuses a explosé. Un casse-tête en termes d’organisation, mais aussi de budget.

« L’idéal, au moins pour la première année de médecine, serait que tous les étudiants de toutes les facultés reçoivent les mêmes cours, les mêmes informations en même temps », explique Pierre Pacaud.

Numérisation plébiscitée

Les six facultés, avec l’appui de la France et de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF), comptent désormais introduire, à la rentrée 2017, des cours filmés et retransmis en visioconférence.

Avant cela, l’expert français accompagne les enseignants pour structurer le cursus et les enseignements. « Parfois, lorsque les étudiants viennent en cours, ils ne savent même pas ce qu’ils vont avoir, ils n’ont même pas de plans de cours », détaille t-il, en posant sur la table un gros classeur contenant le référentiel récemment établi pour l’un des cours. Un travail titanesque rendu nécessaire par l’adoption du système européen licence-master-doctorat (LMD) par Madagascar en 2013, destiné à favoriser la mobilité des étudiants. « Tous les spécialistes sont formés en France », précise t-il.

C’est aussi un passage obligé, pour ensuite penser la numérisation du cursus, que les étudiants réclament. Selon une enquête, « plus de 60 % des étudiants ont un accès régulier à Internet », souligne le Français, essentiellement par leurs smartphones ou au cybercafé. « Et ils sont avides de contenus numériques pour leurs études. »

Fibre optique mais pas de Wi-Fi

Sandaniana Razafimbelo, 21 ans, est l’un d’eux. Il considère qu’Internet lui a permis d’avoir le concours de médecine. « Lorsque j’ai redoublé ma première année, j’ai dit à mes parents qu’il me fallait une connexion pour mes recherches et ils me l’ont payée », explique cet étudiant, désormais en quatrième année. Inutile de compter sur les livres, seule une poignée d’exemplaires datés pour toute la promotion sont accessibles à la bibliothèque. « Le problème, c’est que tout le monde n’a pas les moyens de se payer une connexion ! Tous les ans, on nous promet le Wi-Fi sur le campus, mais on attend encore », désespère-t-il.

Les professeurs sont logés à la même enseigne. Et, depuis mars, le réseau Internet de la faculté ne fonctionne plus. « Ce n’est pas grand-chose, il faut juste changer une pièce qui fait l’équivalent d’un disque dur, mais ça n’a toujours pas été fait », déplore Pierre Pacaud. Un gâchis, alors que toutes les universités malgaches ont été raccordées à la fibre optique en 2013. Un projet pour lequel la contribution de la coopération française s’est élevée à 3 millions d’euros.

Face à ces aléas techniques, Pierre Pacaud compte encourager le principe des « classes inversées », suivant la mode en France. « Plutôt que de faire des heures et des heures d’émissions à partir des cours magistraux, on peut envoyer le contenu du cours à l’avance, et réserver la visioconférence aux questions des étudiants », explique l’expert.

Reste à convaincre les professeurs, assez frileux à l’idée de rendre le contenu de leurs cours trop facilement accessible. « Les enseignants considèrent que ce sont leurs propres productions. Ils sont récalcitrants à les donner comme ça, sans considération, sans rémunération », explique Guy Raoelison. Sans réelle compensation financière, et alors qu’ils sont payés à l’heure d’enseignement, certains préféreront le taxi-brousse à la visioconférence.

L'enseignement supérieur en Afrique : les vrais chiffres
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