La cérémonie des Ping Awards 2016. | AFJV

L’histoire retiendra que pour sa quatrième édition, les Ping Awards, la cérémonie annuelle du jeu vidéo français, a sacré mercredi 28 octobre le jeu de rôle Dishonored 2 jeu français de l’année et le jeu d’action Uncharted 4 meilleur jeu étranger. Le premier a même reçu quatre prix distincts, dont celui pour le moins inattendu du meilleur scénario. Un « award » un brin kafkaïen : le titre sortant le 11 novembre, l’immense majorité des votants n’avait tout simplement pas pu y jouer, et encore moins se faire une idée de son histoire.

Dans le petit monde des « Césars du jeu vidéo » à la française, on n’en est plus à une absurdité près. L’an passé, le maître de cérémonie des Paris Games Week Awards, par ailleurs membre de Microsoft, s’était retrouvé à s’auto-remettre un prix ; le président de Focus Home Entertainment, avait reçu le Ping d’honneur de la personnalité de l’année des mains d’un de ses sous-traitants ; tandis que plus loin des projecteurs, mais la même semaine, les indépendants du salon de l’EIGD et les professionnels de la Games Connection se remettaient à leur tour un fatras de récompenses aux spectres plus ou moins concurrents, contribuant à l’impression de capharnaüm général.

Nouvelle donne

2016 n’aura pas été encore l’année de l’émergence d’une cérémonie unique et de référence, comme espéré par toute une filière. Elle aura pourtant marqué une nette évolution, marquée par un nombre d’événements concurrents en baisse et une meilleure lisibilité.

Le syndicat des éditeurs de logiciels de loisir, le SELL, a notamment suspendu la remise des Paris Games Week Award. « Ce n’était pas satisfaisant, c’était un prix qui n’était pas très structuré. Il était remis par l’industrie et faisait un peu trop auto congratulation », reconnaît Jean-Claude Ghinozzi, président du syndicat organisateur. Une réflexion est toutefois en cours pour le faire renaître sous une forme plus ouverte, cette fois en impliquant le vote du public.

Lundi, ce sera au tour d’un annonceur de tenir sa propre cérémonie, les Gaming Awards Coca Cola. Complémentaires plus que concurrents, ceux-ci récompenseront non pas des jeux, mais des personnalités du jeu vidéo. NewTiteuf est ainsi nominé pour le prix du meilleur youtubeur, Bora Kim pour celui du meilleur e-sportif, ou encore Cyprien et Squeezie pour celui du meilleur duo.

Forts de cette nouvelle donne, les Ping Awards, qui se centrent sur la création française, jouissaient cette année d’une aura toute particulière. Pour l’occasion, les organisateurs avaient mis en place un vote de professionnels réunis par collèges (éditeurs, studios, presse dont Pixels…). Selon les chiffres des organisateurs, environ 300 votants ont pris part à ce qui reste pour l’instant la cérémonie la plus ambitieuse en termes de représentativité.

Légitimité moindre

Tenue à la Cité de l’industrie et diffusée en direct sur jeuxvideo.com, la cérémonie a notamment été marquée par l’enthousiasme communicatif d’un des étudiants primés, et l’émouvant discours de remerciement du Ping d’honneur, le vétéran Paul Cuisset (Les voyageurs du temps, Flashback, Fade to Black…).

En dépit de la petite notoriété que les Ping Awards engrangent année après année, ils restent néanmoins artisanaux, et pas toujours reconnus de tous, notamment des plus gros acteurs du secteur. Selon les informations du Monde, le président d’Ubisoft Yves Guillemot, pressenti pour le prix de la personnalité de l’année, n’a par exemple pas donné suite aux sollicitations des organisateurs.

Ces mêmes organisateurs tiennent par ailleurs à rester accrochés à cette semaine du jeu vidéo marquée par la Paris Games Week, dont ils se voient comme le pendant culturel. Ce calendrier facilite la médiatisation et permet plus aisément de réunir l’industrie, estime Emmanuel Forsans, président fondateur de l’Agence française pour le jeu vidéo (AFJV) et co-organisateur de l’événement. Mais avec un corollaire inévitable : placée en amont des sorties des gros jeux de Noël, la cérémonie des Ping Awards se retrouve à remettre des prix à des jeux qui n’ont pas pu être essayés par le gros des votants, ce qui diminue leur légitimité.

Le sacre précoce de Dishonored 2 gênait jusqu’aux membres du studio venus recevoir leurs nombreuses récompenses. « Je comprends que cela pose des questions, mais celles-ci disparaîtront dès qu’il sera lancé et que tout le monde s’apercevra que les récompenses qu’il a reçues sont méritées », estime M. Forsans, l’un des rares à avoir pu l’essayer plusieurs heures. Ironiquement, Dishonored 2 a reçu sa première récompense la semaine même où son éditeur Bethesda annonçait sa décision de ne plus envoyer ses jeux à la presse avant la veille de leur sortie.

Conflits d’intérêt

Les couacs quasi structurels des Ping Awards sont toutefois minimes par rapport aux réactions suscitées par l’annonce des Gaming Awards Coca Cola. Sur les réseaux sociaux, les critiques n’ont pas manqué de fustiger les conflits d’intérêt possibles pour des vidéastes souvent rémunérés pour des placements produits. A l’image de Squeezie, ambassadeur de la marque Fanta, qui appartient à Coca-Cola, et nominé trois fois. « Beaucoup de catégories récompensent des joueurs, des équipes, etc. Bref le monde de l’e-sport, dans lequel Coca-Cola est légitime en tant que partenaire de longue date de Riot, l’éditeur du jeu League of Legends », oppose Bertrand Amar, animateur multicasquette lié à la marque.

Coca-Cola a par ailleurs été épinglé pour le sexisme apparent de sa sélection : les seules joueuses nommées sont regroupées ensemble, à part, dans une catégorie « gameuse » fourre-tout. « Chaque catégorie est mixte mais les filles sont tristement sous-représentées dans l’e-sport et en gaming. Du coup, elles n’étaient pas dans les sélections, ce que je trouvais injuste », se désole M. Amar pour justifier la création de cette catégorie. Selon les informations du Monde, une athlète féminine reconnue avait pourtant été nommée pour les prix classiques. Mais, sous contrat avec Red Bull, elle a décliné l’invitation à participer à un événement organisé par un concurrent de son sponsor. Les Césars du jeu vidéo sont encore loin.