Le premier ministre Mariano Rajoy, au Parlement espagnol, le 27 octobre, à Madrid. | GERARD JULIEN / AFP

Editorial Ils y ont cru, les Espagnols, à ces airs de révolution douce. Ils ont imaginé la fin de cette rituelle alternance au pouvoir, depuis quarante ans, du Parti populaire (PP, droite) et du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Ils ont espéré que l’émergence de deux jeunes partis, Podemos (gauche anti-austérité) et Ciudadanos (libéral centriste), permettrait de régénérer la vie politique du pays.

Mais, de guerre lasse, après deux scrutins législatifs et dix mois de blocage politique, c’est finalement le chef de l’exécutif, le ­conservateur Mariano Rajoy, qui devrait être réinvesti, samedi 29 octobre, grâce à l’abstention des socialistes. Pour beaucoup d’Espagnols, de droite mais aussi de gauche, c’est un soulagement. Car de nouvelles élections législatives, de nouveaux débats d’investiture et de nouvelles négociations, sans doute aussi stériles que les précédentes, auraient achevé de discréditer les institutions politiques.

Rajoy vainqueur par forfait

Tout ça pour ça, est-on tenté de conclure. Tout ça ? Ce furent les manifestations des « indignés » en 2011, les mouvements sociaux qui en ont découlé, les plates-formes citoyennes nées dans la foulée et qui ont remporté de nombreuses mairies, la création de Podemos pour canaliser cette protestation et la métamorphose de Ciuda­danos, de parti catalan en mouvement ­national susceptible d’exprimer l’impatience du centre droit.

Pour quels résultats ? D’abord, le maintien au pouvoir du même parti, avec le même candidat. Mariano Rajoy est vainqueur par forfait. Sans grand mérite, si ce n’est la patience. Et malgré des handicaps de taille, à commencer par ces procès pour corruption ou détournement de fonds qui se tiennent actuellement à Madrid et qui visent d’une part l’ancien ministre du PP, Rodrigo Rato, et d’autre part une quinzaine d’anciens cadres du parti.

Ensuite, l’explosion du PSOE, placé devant un choix existentiel : constituer une majorité avec la gauche radicale ou laisser gouverner M. Rajoy. C’est finalement le pragmatisme de l’ex-président Felipe Gonzalez et de ses proches, insensibles aux sirènes de Podemos, qui l’a emporté. Tandis que l’ex-secrétaire général, Pedro Sanchez, apôtre du « non, c’est non » à M. Rajoy, est tombé.

M. Rajoy a promis qu’il ne serait plus le même, il s’est engagé à davantage de dialogue, de concertation, de consensus. Il n’a pas le choix

Podemos n’est pas dans une situation plus glorieuse. Après avoir joué avec le feu, le parti des « indignés » se retrouve isolé et confronté, lui aussi, à un dilemme fondamental : rester un mouvement protestataire, comme le défend son chef de file Pablo Iglesias, ou « être utile aux Espagnols » et participer activement à la vie parlementaire, comme le souhaite son numéro deux, Iñigo Errejon. Quant à Ciudadanos, il n’a pas réussi à écarter M. Rajoy et croise désormais les doigts pour que celui-ci respecte les promesses de l’accord d’investiture conclu en août.

Aura-t-il fallu que tout change pour que rien ne change ?, se demande donc l’Espagne. La réponse n’est pas encore écrite. M. Rajoy a promis qu’il ne serait plus le même, il s’est engagé à davantage de dialogue, de concertation, de consensus. Il n’a pas le choix. Il a perdu la majorité absolue qui lui permettait de gouverner seul. Déjà, au menu des prochaines négociations, il a annoncé un pacte national pour l’éducation, pour en finir avec les réformes éducatives incessantes, une remise à plat du système de financement régional, un nouveau système de financement des retraites… La prochaine législature sera celle des consensus ou ne sera pas.