Documentaire à la demande sur Arte+7

Zhu Xiao photographié a Skanghai en 2015 | © accentus/Michael Boomers

Comme le légendaire violoncelliste catalan Pablo Casals, la pianiste Zhu Xiao-Mei joue Jean-Sébastien Bach chaque jour que Dieu fait. Comme une hygiène essentielle. Mais les dieux que vénère la Franco-Américaine d’origine chinoise sont le compositeur et le philosophe Lao Tseu, qu’elle associe d’une manière inattendue et poétique : « Bach était bouddhiste, et j’en ai la preuve, dit-elle dans le beau documentaire quePaul Smaczny a consacré à son retour sur les scènes de son pays natal. Bach veut dire “ruisseau” en allemand, et Lao Tseu dit qu’on doit prendre l’eau comme modèle. »

Zhu Xiao-Mei a quitté la Chine en 1980 pour gagner d’abord les Etats-Unis, puis la France, où elle est installée depuis. Celle qui a donc vécu plus longtemps à l’étranger qu’en Chine (elle est née à Shanghaï en 1949) n’a rien reconnu lorsqu’elle a enfin accepté d’y rejouer, en 2014. Bach était naturellement au programme, dont ses Variations Goldberg, le chef-d’œuvre qui est depuis toujours au centre de son répertoire.

« Je ne retrouve plus l’endroit où je suis née, les vieilles demeures : tout cela n’existe plus »,dit-elle, entourée des hauts immeubles ultramodernes de Shanghaï, devenue une mégalopole. Autour d’elle, les Chinois circulent, téléphone portable à l’oreille, dans l’air pollué et la lumière des néons.

J. S. Bach - Goldberg Variations, Zhu Xiao-Mei (piano) + “The Return is the Movement of Tao”
Durée : 04:47

Zhu Xiao-Mei revient sur ces années de terreur et de misère qu’elle décrit en quelques phrases pudiques : « Il n’y avait plus de livres à lire ni de musique à écouter, ni de peinture à regarder ; plus d’école, plus d’éducation. » On recopiait aussi les dictionnaires et les partitions à la main tant « la culture était détruite ». La jeune fille fut, comme tant d’autres, enrôlée, « instrumentalisée », par la Révolution culturelle. Elle commença des études de piano sur l’instrument familial mais fut bientôt interdite de jouer sur ce qu’on surnommait le « grand tambour occidental ». Elle séjourna dans un camp de « rééducation » ; elle désobéit, et refit du camp. En 1980, elle s’enfuit.

Aux Etats-Unis, elle fut contrainte de faire des ménages pour survivre : elle devait épousseter le piano de familles riches avec interdiction d’en jouer. Ses employeurs ignoraient que Zhu Xiao-Mei se produirait un jour dans l’église Saint-Thomas de Leipzig, devant la tombe de Bach (c’est avec des extraits de ce concert que commence et s’achève le documentaire).

Hommage à Gu Shengying

L’une des raisons pour lesquelles Zhu Xiao-Mei ne voulait pas rejouer en Chine est qu’elle pensait que « le public chinois n’était pas encore prêt pour Bach ». Elle craignait aussi l’ancienne habitude qu’avaient ses compatriotes de parler, de manger et de se déplacer pendant les concerts. Mais le public, le jeune public en particulier, a beaucoup changé. « J’ai ressenti une chose que je n’avais jamais connue, témoigne son ami Michel Mollard, qui vient de consacrer un livre à ce voyage en Chine (Zhu Xiao-Mei. Retour en Chine, Salvator, 192 p., 19 €) : une salle en train de se liquéfier. »

Et l’on est ému comme rarement quand, à la fin de son concert à Pékin, la pianiste rend hommage à sa consœur Gu Shengying qui, en 1967, ne supportant plus les humiliations du régime, mit fin à ses jours. Elle avait 29 ans. « Elle s’est arrêtée en chemin, alors je continue à sa place. »

Comment Bach a vaincu Mao, de Paul Smaczny (All., 2016, 58 min). Disponible sur Arte + 7 jusqu’au 22 décembre.