Les « unes » des principaux quotidiens ivoiriens reflètent, lundi 31 octobre, deux perceptions sur le référendum constitutionnel qui s’est tenu la veille. « Dans l’ensemble, on a voté dans le calme », titre le quotidien gouvernemental Fraternité Matin, alors que celui du Front populaire ivoirien (FPI), Notre voie, évoque « une catastrophe électorale pour Ouattara ». Le vote pour lequel 6,3 millions d’Ivoiriens étaient appelés aux urnes dimanche, a été émaillé d’incidents dans divers endroits du pays, les autorités assurant toutefois que le processus « s’est » bien « déroulé » dans l’ensemble.

Avant la publication de chiffres officiels, l’opposition estime déjà que le taux de participation a été très faible. La compilation des résultats ne devrait être connue que lundi ou mardi, selon la Commission électorale indépendante (CEI).

Des groupes de jeunes ont perturbé le vote, saccagé ou emporté du matériel électoral dans plusieurs villes du pays : à Yopougon et Marcory, deux communes populaires d’Abidjan, à Gagnoa, à 270 km à l’ouest d’Abidjan, Divo, Daloa et Dabou, des villes où l’ancien président Laurent Gbagbo, jugé à La Haye, conserve une forte popularité.

Neuf bureaux vandalisés

Le ministre de l’intérieur, Hamed Bakayoko, a évoqué des incidents dans une « centaine de bureaux de votes », sur un total d’environ 20 000 au total, mais a assuré que les « choses se [déroulaient] bien dans l’ensemble ».

L’opposition avait appelé au boycottage du scrutin, reprochant au pouvoir de n’avoir consulté ni l’opposition ni la société civile, ainsi que de vouloir faire passer le projet « à la sauvette » avec une campagne de sept jours et une diffusion faible d’un texte qu’elle qualifie de « monarchique » et « rétrograde ».

A Yopougon, quartier d’Abidjan réputé pro-opposition, une cinquantaine de jeunes ont bloqué une rue avant que trois d’entre eux ne vandalisent les neuf bureaux de l’école Sicogi II Marché. « Ils ont commencé à lancer des pierres (…) Puis ils sont entrés, ils ont tout cassé… Ils nous disaient d’arrêter de travailler parce que la Constitution ne répondait pas aux attentes du peuple, que le président travaillait pour les Français », raconte à l’AFP Nandy Bamba, présidente d’un bureau. « C’est une manière d’intimider mais nous, on n’a pas peur », a affirmé Bahdjata Cissé, commerçante, qui a voté « oui ».

A Marcory, des individus ont fait brûler des pneus dans une salle de classe espérant empêcher le vote.

L’issue du vote de dimanche ne fait toutefois pas de doute, le taux de participation étant la principale inconnue de ce scrutin. En août 2000, six mois après le coup d’Etat de Noël 1999, la deuxième Constitution ivoirienne avait recueilli 87 % de « oui » pour un taux de participation de 56 %. L’opposition et certains observateurs estiment qu’il faut que le pouvoir actuel obtienne au moins le même score pour que le nouveau texte soit légitime.

Dimanche dans la soirée, la coalition Front du refus parle d’un taux de participation entre 3 % et 5 % alors que la coalition autour du Front populaire ivoirien (FPI) assure qu’il se situe entre 6 % et 7 %. Le chef du FPI, Pascal Affi Nguessan, qui considère que ce vote s’est soldé par « un fiasco total, un désert électoral sur l’ensemble du territoire national », estime qu’ « il appartient au président Ouattara de tirer les conséquences (…) Soit il retire le texte, soit il démissionne ».

Selon des relevés des journalistes de l’AFP, le taux de participation tournait autour de 20 % à Ecole Riviera-Golf à Abidjan, et de 43,5 % au premier bureau de l’école Dauphins de Cocody. A Bouaké (centre-nord), ancienne capitale de la rébellion, il était de 40 % à l’école Kamonoukro et de 46,22 % au collège Saint-Jacques.

Fin de l’« ivoirité »

Après avoir voté à Abidjan, le président Alassane Ouattara a estimé : « Tourner la page de la crise née de la Constitution de 2000 est quelque chose d’essentiel pour le futur de notre nation. » Selon le pouvoir, la nouvelle Constitution met fin, notamment, au concept d’« ivoirité » en clarifiant les conditions d’éligibilité du président. Ses détracteurs avaient reproché à M. Ouattara son origine burkinabée et contesté son éligibilité. Il n’avait alors pu se présenter à la présidentielle que grâce à un décret.

Ce concept d’« ivoirité », qui visait les étrangers, notamment ceux originaires du Burkina Faso voisin, mais aussi les populations du nord de la Côte d’ivoire, a miné la stabilité du pays pendant plus de dix ans.

Ce projet prévoit aussi la création d’un poste de vice-président, qui alimente la controverse, d’un Sénat, institutionnalise la Chambre des rois et chefs traditionnels et étend le domaine de compétence du Conseil économique et social à l’environnement.