Lucas Pouille a remporté son premier titre sur le circuit ATP fin septembre à Metz en battant en finale de l’Open de Moselle l’Autrichien Dominic Thiem. | FREDERICK FLORIN / AFP

L’année 2016 aura été celle des premières pour Lucas Pouille. Premières victoires contre des Top 10 et un Top 5, premiers quarts de finale à Wimbledon et à l’US Open, baptême en Coupe Davis et premier titre sur le circuit ATP (à Metz). A la veille d’entrer en lice à Bercy, le dernier tournoi de sa saison, le 17e joueur mondial est revenu sur son changement de statut et a détaillé au Monde ses objectifs de la saison prochaine.

Si on vous avait dit en début de saison que vous passeriez de la 90e à la 16e place au classement (en septembre), que vous enchaîneriez deux quarts en Grand Chelem et que vous empocheriez votre premier titre sur le circuit, vous l’auriez cru ?

Mes objectifs en début d’année, c’était d’essayer d’atteindre des deuxièmes semaines de Grand Chelem et de rentrer dans le Top 30 donc oui, peut-être que je l’aurais cru, en tout cas je n’aurais pas trouvé ça non plus démesuré. Mais c’est vrai que j’ai eu des bonnes surprises et que j’ai rempli certains objectifs comme gagner mon premier titre, disputer mes premiers quarts en Grand Chelem, battre un joueur comme Rafael Nadal [en huitièmes de finale de l’US Open]… Non pas que j’avais écrit comme objectif « battre Rafael Nadal », mais ça fait partie des étapes très importantes dans ma carrière.

Quelle a été la clé de cette progression constante selon vous ?

Je pense que physiquement, j’ai progressé et dans mon tennis aussi. Après ma défaite à Indian Wells face à [Borna] Coric début mars [le Croate l’avait battu au premier tour 6-2, 7-5], j’ai eu une prise de conscience. A ce moment-là, j’étais un peu « down », j’avais du mal à entrer sur le terrain pour jouer mon jeu sans me mettre trop de pression. Mais après cette défaite, j’ai eu une discussion avec mon entraîneur [Emmanuel Planque], au cours de laquelle il m’a dit certaines vérités… Notamment que si je gardais cet état d’esprit, à savoir rentrer sur le terrain pour ne pas décevoir les autres, je n’allais pas avancer et arriver là où je voulais aller, et qu’il fallait absolument changer ça. Depuis, j’y suis parvenu.

Ça veut dire que vous ne jouiez pas vraiment pour vous ?

Oui, j’attachais trop d’importance au regard des autres et à ce qu’ils allaient dire si je perdais contre untel, si je ne jouais pas bien… J’avais du mal à gérer cette pression.

Avez-vous eu recours à une préparation mentale particulière ?

Non, même si Yannick [Noah] m’avait déjà un peu aidé sur ce plan-là. Mais on a surtout travaillé cet aspect avec mon entraîneur, qui me connaît parfaitement.

Vous donnez l’impression d’avoir rapidement dessiné un plan de carrière, vous êtes d’ailleurs le premier Français à vous entourer si tôt d’une structure professionnelle…

Rien n’est laissé au hasard, en effet. Si on veut se donner une chance d’arriver au plus haut niveau, de gagner les plus grands tournois et de faire partie des tout, tout meilleurs, il faut avoir une structure derrière soi, être bien entouré, etc. Cette année, physiquement, on a travaillé différemment, j’ai engagé un préparateur physique privé [Pascal Valentini, venu du rugby, où il a notamment encadré Toulon, les Harlequins, Castres et le Racing 92], qui est avec moi quasiment à plein-temps. Ça me permet de travailler continuellement et de progresser énormément, car tous les entraînements sont adaptés. Cette saison, je bouge mieux, je sers plus fort, je joue plus vite, je fais tout mieux physiquement. Et j’ai pu tenir de longs matchs.

Comptez-vous encore étoffer cette équipe ?

Oui, on est en train de réfléchir avec mon entraîneur à ce qu’on peut apporter de plus pour l’an prochain. La prochaine personne qui intégrera l’équipe, ce sera un kiné.

Ce sont les membres du Top 5 qui vous ont inspiré ?

L’idée d’investir tout de suite dans ma carrière en m’entourant d’une équipe, on l’a eue en observant leur fonctionnement, oui. C’est une des raisons pour lesquelles ils en sont là. Après, on peut engager un préparateur physique, un kiné et un préparateur mental mais si on ne se donne pas à 100 %, on n’y arrivera pas. Ça ne peut être bénéfique que si on s’investit au maximum.

Et ce choix de s’installer à Dubaï, c’est Federer qui vous a convaincu ?

Oui, il m’avait invité à une semaine d’entraînement chez lui en février 2015. A la fin, j’ai dit à Manu [Planque] que je m’y sentais bien et que j’avais envie de m’y installer. Je n’avais pas envie de passer l’hiver 2015 en m’entraînant à l’intérieur et c’est de là qu’est partie l’idée de m’établir là-bas.

Que répondez-vous à ceux qui y voient une décision motivée par des raisons fiscales ?

Ils ont complètement raison, mais le premier motif, il est sportif même si j’assume les arguments financiers. Mais si ça n’avait été que pour des raisons fiscales, j’aurais trouvé un endroit plus proche de ma famille, là Dubaï c’est quand même loin.

Lucas Pouille, le 4 septembre, après sa victoire en cinq sets en huitièmes de finale de l’US Open face à l’Espagnol Rafael Nadal. | EDUARDO MUNOZ ALVAREZ / AFP

Votre victoire face à Nadal à l’US Open vous a fait changer de statut, notamment aux yeux du grand public. Est-ce qu’avec le recul vous l’analysez comme un déclic dans votre carrière ?

Non, il s’était produit bien avant, quand j’ai battu [David] Ferrer, mon premier Top 10, au Masters 1000 de Miami [fin mars]. A ce moment-là, je me suis dit que j’étais capable de battre les meilleurs joueurs, de les tenir physiquement et ça m’a prouvé que j’avais les capacités d’aller loin. Contre Nadal, il n’y a pas eu de déclic mais ça m’a donné énormément de confiance et encore une fois, ça m’a conforté dans l’idée que ma quête d’un Grand Chelem passe par des victoires contre les grands joueurs.

Gagner un Grand Chelem est donc un objectif à court terme ?

Oui, la saison prochaine, ce sera désormais l’objectif à chaque fois que je disputerai un Grand Chelem. Cette saison, je suis plus confiant, j’ai réussi à faire deux fois quart d’affilée en battant des bons joueurs, je pense qu’en travaillant encore plus dur, notamment physiquement, je peux arriver plus frais en quart de finale et après, tout peut arriver… J’essaie de ne pas me mettre de limites.

Pour en revenir à cette victoire face à Nadal, certains médias se sont aussitôt emballés, vous désignant comme le successeur potentiel de Yannick Noah : ça vous agace ?

Non, pas du tout, je trouve ça très positif ces déclarations, le contraire m’inquiéterait plus ! Ça veut dire qu’ils pensent que je peux gagner un Grand Chelem, que je suis bon et que j’ai les capacités pour faire partie des tout meilleurs.

A propos de Noah, le sollicitez-vous toujours à titre de conseiller ?

Oui, ça m’arrive encore de l’appeler, la seule différence depuis qu’il est passé capitaine de l’équipe de France de Coupe Davis, c’est que je n’en ai plus l’exclusivité. Quand on a envie de l’appeler et de lui demander des conseils, il le fait avec plaisir, même en dehors de la Coupe Davis. J’ai énormément de respect pour lui, c’est un grand champion, il a réussi tout ce qu’il a entrepris dans sa vie. Et je pense que lui me respecte beaucoup. Yannick m’a apporté la culture de la gagne, il est toujours à insister sur l’état d’esprit, la gagne, etc. Pour ça, il est génial.

Monfils et Tsonga ont déclaré que vous étiez meilleur qu’eux au même âge. C’est votre mental qui fait la différence, selon vous ?

D’abord, je ne sais pas si je suis meilleur qu’eux au même âge, vu qu’à ce moment-là je ne les côtoyais pas. C’est une autre époque, moi j’essaie de faire mon truc. Après, le mental c’est sûr que c’est une de mes forces, je me repose beaucoup là-dessus. Mais réguler la pression et savoir la gérer, ce sont encore des choses que j’apprends.

Justement, dans quels secteurs êtes-vous perfectible ?

Je pense que ce soit physiquement ou dans mon tennis, je suis encore perfectible partout. Pour ça, je dois continuer à travailler très dur, car ce n’est pas en un an qu’on arrive à progresser partout et à atteindre le summum. Je peux être bien plus fort au filet, mieux servir, être plus consistant dans mes frappes, physiquement être plus fort, plus rapide et plus endurant. On va travailler tout ça dès la préparation de fin d’année et tout au long de l’année prochaine.

L’objectif principal de la saison 2017, ce sera quoi ?

Déjà, d’ici à la fin de l’année, je vais essayer de me rapprocher le plus possible du Top 10 et pourquoi pas de l’intégrer même si pour ça, il va falloir gagner beaucoup de matchs. L’an prochain, la Coupe Davis sera un de mes plus grands objectifs. Je vais aussi essayer de m’installer dans les 10, de dépasser les quarts en Grand Chelem et d’aller le plus loin possible sans me fixer de limites. Pour moi, il n’y a pas de mal à afficher ses ambitions.

Si je dis que j’ai envie de gagner un Grand Chelem et à partir du moment où je mets toutes les chances de mon côté, on ne pourra jamais me reprocher quoi que ce soit. Si on ne se donne pas tous les moyens pour y arriver, là OK, on peut recevoir des critiques, car on se ment à soi-même et à tout le monde. Mais moi, ça n’est pas mon cas. Et si jamais je n’y arrive pas, je n’aurai pas de regrets dans la mesure où j’aurai fait le maximum.