Contre-argumenter en expliquant pourquoi la Cour pénale internationale (CPI) ne rend pas une justice de « Blancs » est nécessaire mais insuffisant. Il faut aussi développer un discours positif, en rappelant à quel point les Etats africains ont joué un rôle important dans la création et le développement de la CPI.

Nombre d’Africains y occupent actuellement des rôles clés (procureur, premier vice-président, juges, président de l’Assemblée des Etats parties).

Par ailleurs les chefs d’Etats africains ne doivent pas être confondus avec leurs sociétés civiles, massivement favorables à la CPI. Ces éléments discursifs sont importants mais toujours insuffisants : pour améliorer les relations entre l’Afrique et la CPI, il faut faire des propositions concrètes.

Désafricaniser et renforcer

Premièrement, il faut encourager la CPI à enquêter sur des situations non africaines. L’affaire géorgienne est un bon début, et un tournant dans l’histoire de la Cour sur lequel il faudrait davantage communiquer. Le bureau du procureur a intérêt à faire en sorte que des affaires non africaines aillent au-delà du stade de l’examen préliminaire – dans le respect de l’indépendance et de l’impartialité de la Cour.

Deuxièmement, il faut renforcer les juridictions nationales africaines, augmenter leur capacité à enquêter et à poursuivre elles-mêmes les crimes commis sur leur territoire, parce que nous soutenons « des solutions africaines aux problèmes africains ».

Le problème est que ces solutions n’existent pas toujours : il faut donc contribuer à les rendre possibles. Le bureau du procureur doit encourager des poursuites nationales à chaque fois qu’elles sont possibles en fournissant des informations, en travaillant avec les représentants et les experts des pays en question, et en agissant comme un catalyseur pour les ONG et les autres acteurs locaux.

Créer des structures intermédiaires

Troisièmement, pour augmenter la coopération entre la CPI et l’Union africaine (UA), on peut aussi créer :

  1. Des chambres de la CPI en Afrique, présentant les avantages de l’in situ (réduction de la position d’extranéité de la Cour, accès aux victimes, aux preuves et aux témoins) sans les risques – trop élevés dans le pays concerné. La Cour pourrait par exemple négocier l’accès aux infrastructures du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) en Tanzanie, du Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) et des Chambres africaines extraordinaires au Sénégal.

  2. Un bureau de liaison de la CPI à l’UA, comme la Cour en possède un aux Nations unies. Une mesure pour l’instant rejetée par l’UA.

  3. Un accord de coopération entre la CPI et l’UA, à l’instar de la CPI avec l’ONU et l’Union européenne (UE). Le projet d’accord de 2005 est au point mort.

  4. Une chambre mixte de juges africains et internationaux à la Cour africaine de justice et des droits de l’homme (CAJDH), qui n’est pas encore entrée en vigueur. Il faut soutenir la CAJDH, que l’UE finance, mais se méfier du Protocole de Malabo, adopté en juin 2014 et non encore ratifié, qui établit une chambre criminelle en son sein, dans l’objectif d’offrir une alternative africaine à la CPI. Parmi ses défauts importants, il garantit l’immunité, non seulement aux chefs d’Etat ou de gouvernement, mais aussi à « toute personne agissant ou habilitée à agir en cette qualité ou tout haut responsable de l’Etat », une formule trop large pour être honnête.

En plus de cet échelon continental en construction, qui présente encore de trop nombreux problèmes, des initiatives régionales doivent être encouragées, comme les Chambres africaines extraordinaires qui ont condamné le Tchadien Hissène Habré après un procès exemplaire. Leur succès doit toutefois beaucoup à la volonté politique du Sénégal, et n’est donc pas facilement reproductible.

S’appuyer sur les sociétés civiles africaines

Toute stratégie devrait reposer sur deux piliers : d’une part, les Etats parties africains qui soutiennent la CPI, comme ceux (Algérie, Botswana, Côte d’Ivoire, Nigeria, Sénégal et Tunisie) qui ont empêché le projet de retrait collectif de la CPI de figurer à l’agenda du dernier sommet de l’UA en juillet. Il faut les encourager à exercer une plus grande influence, sachant que le forum pertinent pour discuter de ces questions n’est pas l’UA, où plus d’un tiers des Etats ne sont pas parties au Statut de Rome, mais l’Assemblée des Etats parties, qui réunit toutes les parties et rien qu’elles.

D’autre part, toute stratégie visant à défendre la CPI devrait également s’appuyer sur la société civile africaine : ONG, cercles de réflexion, personnalités charismatiques. D’importantes voix africaines devraient être encouragées à défendre la CPI dans le débat public, comme Kofi Annan le fait depuis plusieurs mois.

Enfin, l’organisation d’un grand colloque international sur « L’Afrique et la justice pénale internationale » – pour ne pas se restreindre à la seule question de la CPI – par un cercle de réflexion africain ou un Etat partie ami de la CPI tel que le Sénégal ou le Botswana, pourrait aussi contribuer à ce que le débat public ne soit pas confisqué par une poignée d’opposants.

Jean-Baptiste Jeangène Vilmer est directeur de l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM).