Bernard Cazeneuve, le 28 octobre. | GAIZKA IROZ / AFP

Interpellé durant les questions au gouvernement par le député (Les Républicains) Lionel Tardy, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a défendu la création par décret, au cours du week-end, du fichier TES. Cette base de données, qui fusionne les informations des cartes d’identité et passeports, vise à lutter contre l’usurpation d’identité et la fraude. Mais la combinaison, dans un seul fichier, de données biométriques de 60 millions de Français a provoqué de vives critiques.

Pour M. Tardy, plus que le fichier lui-même, c’est la méthode qui pose question : c’est en effet un décret paru au Journal officiel dimanche 30 octobre qui a officialisé la création du fichier TES. « Ce simple décret pourrait être modifié au gré des majorités », a fait remarquer le député, estimant que la création d’un tel fichier nécessitait « un grand débat public. Il est anormal que le Parlement n’ait pas été saisi. »

Pour Bernard Cazeneuve, il y a « un décalage total entre la réalité du contenu du fichier » et les inquiétudes soulevées par M. Tardy. Selon le ministre de l’intérieur, la création du TES vise uniquement à moderniser le FNG, qui gère les cartes d’identité, « devenu obsolète et qui posait des problèmes de maintenance ». « Contrairement à ce que vous indiquez, ce fichier a été validé par le Conseil d’Etat et est totalement validé par la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), qui a dit qu’il était “déterminé, explicite et légitime” », a renchéri M. Cazeneuve.

La CNIL a bel et bien considéré, dans son avis sur le fichier TES, que les finalités de ce dernier sont « déterminées, explicites et légitimes ». Mais l’avis de l’autorité indépendante est bien plus mesuré que ce que laisse entendre M. Cazeneuve. La CNIL note par exemple que les données contenues dans ce fichier – adresse, taille, couleur des yeux, empreintes digitales… – sont particulièrement à risque. « Les risques spécifiques attachés au fichier envisagé, au regard tant de la nature des données enregistrées que du nombre de personnes concernées, imposent la plus grande prudence et obligent à n’envisager sa mise en œuvre que dans la stricte mesure où aucun autre dispositif, présentant moins de risques d’atteintes aux droits des intéressés, ne permet d’atteindre des résultats équivalents », écrit notamment la CNIL. La haute autorité estime qu’il aurait été préférable de doter les cartes d’identité de puces électroniques, pour y stocker les données biométriques et éviter de constituer un fichier centralisé.

Sans contester la légalité de la création du fichier par voie de décret, l’avis de la CNIL abonde aussi dans le sens de M. Tardy. « La Commission réitère que les enjeux soulevés par la mise en œuvre d’un traitement comportant des données particulièrement sensibles, relatives à près de 60 millions de Français, aurait mérité une véritable étude d’impact et l’organisation d’un débat parlementaire », écrit-elle.

Inversion des positions du PS

Ironiquement, les débats autour du TES traduisent une inversion totale des positions d’une partie des députés de droite et de gauche. Le principe de la création de ce fichier a en effet été adopté en 2012, sous une majorité de droite. Le texte initial prévoyait d’ailleurs d’aller beaucoup plus loin : contrairement à ce qu’instaure le décret pris ce week-end, le fichier devait aussi pouvoir permettre des identifications judiciaires. Cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel, qui l’a jugée trop attentatoire aux libertés.

A l’époque, ce sont les députés de gauche qui avaient saisi le Conseil constitutionnel, dont Jean-Jacques Urvoas, l’actuel ministre de la justice, qui critiquait alors ce « fichier des honnêtes gens ». M. Urvoas s’inquiétait alors de la création d’un « fichier à la puissance jamais atteinte dans notre pays puisqu’il va concerner la totalité de la population », et rappelait qu’« aucun système informatique n’est impénétrable ».

A l’Assemblée, M. Cazeneuve a fait mine de s’étonner que des députés de droite critiquent aujourd’hui la mise en place d’un fichier plus limité que celui qu’ils avaient voulu créer eux-mêmes en 2012. « Le fichier que vous aviez proposé a été censuré par le Conseil constitutionnel, et le fichier mis en place par décret ne correspond à aucune règle du précédent », a-t-il dit. Lors du vote, Lionel Tardy s’était abstenu.

La mise en place du TES a été par ailleurs vivement critiquée par Jean-Luc Mélenchon. « Fichage généralisé de la population : Sarkozy en rêvait en 2012. Hollande le fait en 2016 », écrit l’eurodéputé sur son compte Twitter.