Sur les îles Kerguelen, en 2012. | SOPHIE LAUTIER / AFP

Nous vivons actuellement un moment historique. Un consensus entre les 25 membres de la Commission pour la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR) a été enfin trouvé pour la création du sanctuaire marin de la mer de Ross, après cinq ans de négociations. Un élan nouveau est en route. La France, qui s’enorgueillit de posséder le deuxième patrimoine maritime au monde, a une grande part de responsabilité dans la protection des océans. Aussi devrait-elle mettre à son agenda l’extension de la Réserve marine des Terres australes françaises jusqu’à la limite de sa zone économique exclusive (ZEE), ainsi que de bien plus vastes zones exemptes de pêche, comme en mer de Ross. Une mesure attendue qui placerait la France parmi les nations pionnières pour la protection de la biodiversité de l’océan mondial.

Kerguelen, Crozet, Saint-Paul, Amsterdam, ces îles du bout du monde font aujourd’hui partie du patrimoine national grâce à de valeureux marins qui les ont découvertes et défendues au prix d’une exceptionnelle audace. Tout au long du XIXe siècle, ces îles du sud de l’océan Indien ont été le théâtre de massacres sans répit de la faune marine (phoques, éléphants de mer, baleines) jusqu’à la limite de l’extinction. A partir des années 1950, la France y installera des bases permanentes occupées par des scientifiques qui, depuis des décennies, étudient avec passion cette faune d’une richesse unique au monde. Aujourd’hui, les populations d’albatros, de manchots, de pétrels, de phoques et d’éléphants de mer se sont reconstituées et abondent sur ces Terres australes qui offrent à la France les plus grandes colonies d’oiseaux de mer et de mammifères marins.

En 2006, pour préserver cet exceptionnel patrimoine naturel, les archipels des Crozet, des Kerguelen ainsi que les îles Saint-Paul et Amsterdam ont été classées « Réserve naturelle nationale des Terres australes françaises ». Cet outil de gestion fixe en priorité la conservation du patrimoine naturel, tout en permettant certaines activités de pêche rigoureusement encadrées et surveillées, pour faire respecter les quotas et éviter les bateaux de pêche pirates. Cette mise en réserve couvre actuellement 7 000 km² de domaine terrestre et les eaux territoriales jusqu’à 12 milles nautiques au large des côtes.

Mais depuis l’adoption récente, en France, de la loi pour la reconquête de la biodiversité, les réserves naturelles marines peuvent être étendues à l’ensemble de la zone économique exclusive, jusqu’à 200 milles au large. Le projet de décret en cours étendrait la Réserve marine des Terres australes françaises sur 670 000 km2, ce qui permettrait à la France d’atteindre ses objectifs de 20% du total des eaux françaises classées en « aire marine protégée ». Cette initiative inclut également des zones en protection renforcée de 120 000 km2 exemptes de toute activité de pêche, ce qui porterait de 0,25 % à 1,3 % la part de la ZEE française sans aucune activité extractive. Une telle décision représenterait un petit pas en avant vers les 10 % en 2020 annoncés par le Grenelle de la mer, mais un grand pas de plus pour la protection de l’océan Austral.

Jean-Louis Etienne, explorateur.