Les époux Pierre et Danielle Le Guennec à leur arrivée au tribunal d’Aix-en-Provence, le 31 octobre 2016. | BORIS HORVAT/AFP

Les époux Le Guennec ont conservé quarante ans durant 271 œuvres de Picasso – aujourd’hui estimées entre 60 et 100 millions d’euros – dans leur garage de Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes). Ce qui leur vaut un procès à rebondissements, dont l’audience en appel, lundi 31 octobre, devant la cour d’Aix-en-Provence, a ravivé le bon mot de Virgile : « Timeo Danaos et dona ferentes » (« Je crains les Grecs, même quand ils font des cadeaux »).

Cette antique maxime, Pierre et Danielle Le Guennec auraient pu la méditer s’ils n’étaient, comme l’a souligné leur avocat, Me Eric Dupond-Moretti, « de petites gens », vénérant Jacqueline Picasso, la veuve de l’artiste mort en 1973, qui leur aurait confié « entre quinze et dix-sept sacs-poubelle » contenant des œuvres du maître, peut-être soucieuse de les soustraire aux inventaires de succession.

Insistant dans sa plaidoirie sur les origines modestes du couple septuagénaire – Pierre était électricien, chargé des travaux chez les Picasso –, accusé par les héritiers du peintre de « recel », Me Dupond-Moretti a souligné la « déférence » des époux pour celle que, « des années après sa mort, ils appellent encore “Madame” ». M. Le Guennec aurait restitué les sacs quelques mois plus tard, Jacqueline Picasso lui faisant alors don de celui contenant les pièces contestées.

Selon des témoins, l’artiste n’aurait jamais laissé sortir de son atelier une œuvre non signée

C’est un revirement par rapport aux déclarations faites par les prévenus lors d’un premier procès, en 2015, à l’issue duquel ils avaient été condamnés à deux ans de prison avec sursis, et 375 000 euros d’amende. A l’époque, ils affirmaient avoir reçu ce don du vivant de Picasso. L’accusation avait fait défiler les témoins qui, tous, affirmaient que l’artiste, même s’il pouvait être généreux, n’aurait jamais laissé sortir de son atelier une œuvre non signée. Anne Baldassari, alors à la tête du Musée Picasso, l’avait confirmé : « Ce qu’il donne coïncide toujours à la chronologie de la relation, avec des œuvres de circonstance… » Or, analysait-elle, le lot incriminé s’étend sur trois décennies : « Cela constitue un problème. » La nouvelle version du couple permet de le contourner fort opportunément.

La défense réfute aussi la thèse de l’accusation selon laquelle les œuvres leur proviendraient de l’ex-chauffeur de Picasso, Maurice Bresnu, dit « Nounours », auquel ils étaient apparentés. La chose est d’importance, car, si tel est le cas, le vol éventuel est prescrit. Le recel, non. Pierre Le Guennec s’en expliquait lui-même dans une lettre au Monde (7 juillet 2012) : « Après m’avoir accusé de vol et de recel, la poursuite réalisa que, juridiquement, on ne pouvait pas être le receleur de son propre vol et avança que Bresnu (…) aurait volé, puis m’aurait confié (!) ces 271 œuvres (…), ce qui permet de m’accuser de recel, alors même qu’il n’existe aucun lien entre sa collection et les œuvres que j’ai montrées à Picasso Administration [qui authentifie les tableaux]. »

C’est là un des autres arguments de la défense, et non des moindres : « Ils sont allés [à la Picasso Administration] amener les œuvres, c’est rationnel ça ? », a demandé Me Dupond-Moretti. Ce qui n’a guère empêché l’avocat général, lundi, de requérir de nouveau deux ans de prison avec sursis contre les époux. Jugement le 16 décembre.

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