Parmi les nombreux accords passés entre la France de Nicolas Sarkozy et la Libye – qui ne seront pas honorés pour la plupart, en raison de la révolution libyenne –, il y en a un qui suscite la curiosité de la justice française. Les montages opaques qui ont contribué à financer l’équipement, puis le fonctionnement, de l’hôpital de Benghazi sont en effet au cœur d’une enquête préliminaire du parquet national financier, gardée jusqu’ici secrète.

En juillet 2007, Nicolas Sarkozy, nouvellement élu, ­cherche à obtenir la libération de cinq infirmières bulgares et d’un médecin palestinien, accusés par Mouammar Kadhafi d’avoir inoculé le virus du sida à des enfants libyens. Ils croupissent dans les geôles du régime depuis 1999. Contre leur libération, le colonel Kadhafi demande à la France de prendre en charge la refonte de l’hôpital universitaire de Benghazi, le Benghazi Medical Center, construit dans les années 1980 et qui n’a jamais ouvert.

C’est ce qu’a confirmé Claude Guéant aux enquêteurs chargés de l’instruction sur un possible financement de la campagne de Sarkozy en 2007, expliquant que l’intermédiaire Ziad Takieddine lui « avait fait passer le message qu’il était important pour les Libyens que [les Français] puiss[ent] démarrer le fonctionnement de l’hôpital de Benghazi (…). Et [qu’il] en [a] référé au président ».

Soupçon de rétrocommissions

Comme l’a raconté la revue Sang-Froid, en mars 2016, qui a recueilli les confidences de l’ancien consul de France en Libye Jean Dufriche, l’Agence française de développement (AFD) a reçu une dotation exceptionnelle de 29 831 287 euros en 2008 pour le projet.

Ideal Medical Products Engineering (IMPE), une entreprise alors dirigée par un certain Olivier Carli, a ensuite été imposée par Boris Boillon, lui-même conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Elysée. C’est elle qui recevra l’argent de l’AFD pour remettre l’hôpital en état. Une autre société, Denos Health Management, remporte le contrat de gestion hospitalière. Derrière plusieurs sociétés-écrans se cache en fait une holding, elle-même détenue par M. Carli.

Un an plus tard, l’hôpital est inauguré par le secrétaire d’Etat à la coopération, Alain Joyandet, entouré de dignitaires du régime de Kadhafi. Mais, dès février 2011, la Libye s’enfonce dans la guerre, les équipes occidentales quittent le pays. Contacté par Le Monde, M. Dufriche confirme que « tout avait été conduit depuis l’Elysée par M. Boillon, qui avait imposé les prestataires avec qui il y a eu une connivence financière ». Dans une réponse donnée à Sang-Froid, le président de la société IMPE, Thomas Fernandez, avait réfuté tout mécanisme frauduleux.

Le parquet financier s’interroge aujourd’hui sur le choix des sociétés de M. Carli et cherche à savoir si la totalité des millions versés à son entreprise ont bien servi au projet. Selon M. Dufriche, M. Carli ne serait pas le seul associé de la société Denos au sein de laquelle figureraient aussi des Français et des Libyens. Y a-t-il eu des rétrocommissions ? M. Carli le dément. Pour tenter d’y voir plus clair, les enquêteurs ont perquisitionné à la mi-octobre les locaux de l’AFD

Boris Boillon devrait être prochainement renvoyé devant le tribunal pour une autre affaire : l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy avait été interpellé en juillet 2013 à la gare du Nord, alors qu’il s’apprêtait à se rendre à Bruxelles avec 350 000 euros et 40 000 dollars en liquide, qu’il n’avait pas déclarés et dont il a peiné à justifier l’origine.

Trois jours de révélations sur le système Sarkozy

Le Monde révèle, au cours de trois publications successives, l’existence d’un vaste système délictueux, impliquant de hautes personnalités liées à Nicolas Sarkozy. Ce réseau, (dé)voué à la protection de l’ancien chef de l’Etat, est composé de policiers ou magistrats restés fidèles à l’ex-président, mais aussi d’hommes d’affaires, d’intermédiaires, de diplomates et même de journalistes. Une structure informelle qui apparaît aujourd’hui en pleine lumière, à la faveur de plusieurs enquêtes judiciaires, toutes conduites par le juge parisien Serge Tournaire, et auxquelles Le Monde a eu accès - en sus de nos propres investigations.

Elles mettent en lumière les dessous d’une organisation mise en place dès l’arrivée de Nicolas Sarkozy au ministère de l’intérieur, en 2002, renforcée lors de son accession à l’Elysée en 2007, et qui s’est perpétuée après sa défaite en 2012.