Les journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme ont répondu aux questions des internautes après la publication de leur enquête sur Bernard Squarcini. Resté au cœur d’un système parallèle au service, notamment, des intérêts de la Sarkozie, l’ancien patron du renseignement intérieur avait été mis en examen le 28 septembre.

Le square : Pensez-vous que Bernard Squarcini sera réellement condamnée ? Dit autrement, cette affaire sera-t-elle diluée comme les affaires Balkany et Cahuzac ?

Gérard Davet et Fabrice Lhomme : Impossible en l’état d’anticiper sur une décision de justice. M. Squarcini, rappelons-le, bénéficie de la présomption d’innocence comme tout mis en examen. Cela dit, il n’y a aucune raison de penser que cette affaire sera enterrée. Par ailleurs, les enquêtes visant Patrick Balkany progressent rapidement. Quant à Jérôme Cahuzac, il a déjà comparu en correctionnelle…

Laurent : Pour quelles raisons politiques les juges vous autorisent-ils l’accès à ces écoutes ? Dans le cadre du secret de l’instruction ?

Contrairement à une idée reçue un peu trop souvent propagée, les journalistes ne sont en aucun cas tenus au secret de l’instruction. Nous avons tout à fait le droit de publier des informations issues de procédures judiciaires – c’est même un devoir s’agissant d’affaires d’intérêt public. S’agissant de l’origine des informations, secret des sources oblige, nous ne les révélons jamais.

Adrien : Dans quelle mesure la candidature de M. Sarkozy pourrait-elle être impactée par ces révélations ? J’ai remarqué, en effet, une certaine pudeur de ses adversaires politiques à aborder publiquement la question de son implication dans ce type d’affaires.

Il est vrai que les adversaires de M. Sarkozy ont toujours peur qu’on leur objecte que la présomption d’innocence doit s’appliquer, et que ces affaires visent directement ses proches, et pas lui-même. Mais nous estimons que ces informations d’intérêt public démontrent l’existence d’un système, délictueux. Pour notre part, nous considérons que ces révélations doivent conduire à l’assainissement d’un système. Et donc que les adversaires de M. Sarkozy seraient fondés à s’en emparer, en admettant leur connaissance de ce réseau.

Valentin L : J’ai l’impression qu’une bonne partie des cadres de la DGSI sont impliqués dans cette affaire, même après que Hollande est devenu président. Quelles peuvent être les conséquences de ces révélations sur l’avenir de la DGSI ?

Effectivement, ces révélations démontrent l’existence d’un réseau parallèle de renseignement, et d’une compromission de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Pas moins d’une dizaine de ses agents ont été entendus par les enquêteurs, jusqu’au directeur lui-même qui a facilité l’obtention de papiers administratifs à des obligés de M. Squarcini. Gênant, pour un service prônant l’exigence et la discrétion. Le ministère de l’intérieur devrait, à notre sens, surveiller cela de près.

Thomas : Quel sentiment étrange : les documents s’accumulent contre des personnages-clés de la galaxie Sarkozy, et contre Sarkozy lui-même, et pourtant, toujours aucune condamnation. Où se situent les blocages ?

Difficile de répondre de manière générale sur une série d’affaires souvent distinctes procéduralement parlant. Toutefois, on peut dégager une explication globale : la plupart des procédures impliquant Nicolas Sarkozy ou ses proches ont été ouvertes ces dernières années. Or, une enquête judiciaire prend du temps, beaucoup de temps, surtout lorsque les mis en examen multiplient les recours, voire parfois les manœuvres dilatoires, afin de faire durer encore plus les procédures.

L’affaire de corruption et de trafic d’influence dans laquelle M. Sarkozy est poursuivi est à cet égard emblématique : l’enquête est terminée depuis longtemps mais les multiples démarches judiciaires entamées par l’ancien chef de l’Etat et ses conseils ont « gelé » la procédure pendant de longs mois, comme Le Monde a eu l’occasion de le raconter…

Sondeur : Pourquoi personne n’a parlé de ces affaires jeudi soir lors du débat de la primaire à droite ? M. Squarcini a-t-il une influence sur d’autres personnalités de la primaire ?

Première raison : jeudi soir, notre article sur Squarcini n’avait pas encore été publié. Mais, de toute façon, on sait par expérience que les candidats sont toujours extrêmement réticents à exploiter explicitement les « affaires » susceptibles de nuire à leurs concurrents. Ils craignent de se faire reprocher de bafouer la présomption d’innocence, voire d’être renvoyés à leurs propres turpitudes. Ainsi, par exemple, Alain Juppé ne se risquera pas à attaquer Nicolas Sarkozy sur ce thème, de peur que ce dernier lui renvoie à la figure sa propre condamnation dans l’affaire du financement du RPR…

Tom : Ne recevez-vous pas des pressions lors de la publication de ce genre d’articles ?

Nous n’avons subi aucune espèce de pression, rassurez-vous. La seule pression que nous ayons eue, c’est celle normale de notre direction exigeant la rigueur de l’information. Et celle que nous nous imposons quant à être les plus assidus pour sortir ce type d’enquête, qui permet de faire progresser quelques valeurs auxquelles nous croyons. Pour le reste, nous travaillons dans l’ombre, discrètement, et peu de personnes savaient que nous étions sur cette enquête.

Tholec : Un point de votre article m’interpelle : tous espèrent le retour en grâce électoral de Nicolas Sarkozy. C’est troublant. Le judiciaire n’est-il pas distinct du politique ?

Intéressante remarque. Et vœu pieux. En effet. La porosité entre ces deux mondes est absolue. Procureurs et policiers de haut rang sont nommés par le pouvoir politique, qui a tout intérêt à disposer d’affidés pour étouffer des affaires, ou en créer. Donc, effectivement, si Sarkozy revient en grâce, ces gens dont nous parlons seront à nouveau sollicités pour diriger, directement ou pas, des organes essentiels.

G² : Serait-il possible de faire un parallèle entre les affaires (judiciaires) d’Alain Juppé à son époque et celle de Nicolas Sarkozy ? Ou bien sont-elles si disproportionnées au point que M. Juppé passe pour le bon samaritain de la politique ? A en croire certains articles, M. Juppé n’a rien à se reprocher.. Pourtant il était au gouvernement lors des événements en Libye…

L’affaire qui a valu à M. Juppé d’être condamné est celle du financement illicite du RPR. Elle est à la fois semblable à celles qui menacent aujourd’hui Nicolas Sarkozy, dans la mesure où elle était aussi l’illustration d’un « système », le système Chirac en l’occurrence. Mais la grosse différence est qu’il s’agissait de la seule affaire mettant en cause M. Juppé, alors que M. Sarkozy est, lui, cité dans de nombreuses enquêtes. En clair, M. Juppé a payé pour un autre (M. Chirac), alors que pour M. Sarkozy, c’est un peu l’inverse. Ce sont surtout ses proches (Guéant, Squarcini, etc.) qui payent pour lui.

Omar : On voit bien que son entourage et ses intérêts sont au cœur de cette affaire, mais sur le plan strictement judiciaire, est-ce que Nicolas Sarkozy est exposé ?

Comme dans nombre d’affaires judiciaires où son nom est cité, M. Sarkozy devrait échapper aux poursuites, car d’autres ont pris des risques pour lui. Rappelons qu’il est mis en examen dans deux dossiers, et qu’il a bénéficié de deux non-lieux dans d’autres affaires (et non pas cinq non-lieux comme il aime à le dire). Ce système existe aussi pour le protéger, les fusibles jouent leur rôle. Surtout, de notre point de vue, le fait qu’il soit poursuivi ou non n’a pas un intérêt majeur, on ne s’intéresse pas aux affaires en raison d’un nom. Ce qui compte, c’est que l’information soit intéressante pour le public.