Nouvel épisode dans la guerre qui oppose la Commission européenne à Google. Le géant de la Silicon Valley a répondu, jeudi 3 novembre, aux griefs adressés par Bruxelles sur son comparateur de prix Google Shopping. Dans une charge particulièrement sévère, le moteur de recherche explique être en désaccord « avec les arguments de la Commission européenne selon lesquels les résultats de Google Shopping portent préjudice à la concurrence. Ces allégations sont erronées sur les plans juridique et économique », a résumé Kent Walker, vice-président de Google dans un billet publié sur son blog, fustigeant un dossier qui « manque de preuves ».

L’affaire remonte à 2010. Les comparateurs de prix tels que Kelkoo, LeGuide.com, Twenga, ou Ciao de Microsoft, s’étaient plaints d’être rétrogradés dans les résultats de recherche naturels de Google, et ce alors que le géant de la Silicon Valley mettait en avant son propre service maison. « Google a changé son algorithme, et tout à coup, nous sommes passés de la première page de résultats aux tréfonds du site », se souvient Olivier Sichel, l’ancien patron du Guide.com, et membre de l’Open Internet Project (OIP), une association composée d’adversaires de Google, portée par l’Allemand Springer.

Depuis, ces sites accusent Google d’abus de position dominante. Selon eux, le moteur privilégierait son propre service au détriment du leur. De son côté, Google assure n’avoir jamais « compromis la qualité et la pertinence des informations affichées », et précise que la position des six plaignants du dossier ne reflète pas les 350 comparateurs de prix européens.

Bras de fer avec la Commission européenne

Au cœur du bras de fer avec la Commission européenne, le périmètre concurrentiel dans lequel est analysé Google Shopping. C’est sur ce point particulier qu’a de nouveau répondu le géant fondé par Larry Page. Dans son étude, Bruxelles compare le service de Google aux autres comparateurs de prix, ce qui octroie de facto à Google Shopping une position dominante sur le marché. Pour Google, cette grille d’analyse est beaucoup trop restrictive, dans la mesure où elle ne tient compte ni d’eBay ni d’Amazon, surtout, devenus de véritables concurrents pour les comparateurs de prix.

Pour justifier son approche, Google se fonde sur les modes de consommation des internautes, qui ont profondément évolué ces dernières années. « Les acheteurs se rendent sur les sites marchands de différentes façons : depuis les moteurs de recherche, les moteurs de recherche spécialisés, les plates-formes marchandes, les réseaux sociaux, et les publicités en ligne », explique Kent Walker.

Sans compter le Web mobile, qui représente aujourd’hui « plus de la moitié du trafic Internet européen ». Ainsi, les applications des sites marchands ont également profondément rebattu les cartes du marché. Même Facebook se met à l’e-commerce en fournissant des outils aux sites marchands. Du coup, « tous ces services – moteurs de recherche, comparateurs, marchands – se font concurrence en matière d’achat en ligne », développe le vice-président de Google.

Les comparateurs de prix ont énormément souffert

Pour preuve, Amazon ne vend pas que ses produits, mais écoule la marchandise de quantité d’e-commerçants. L’internaute y trouve ainsi un tas de tarifs différents pour un même produit. En Allemagne, « Amazon est la première porte d’entrée vers le Web », avec un tiers des recherches de produits, devant Google (14,3 % des requêtes), dit une étude citée par le moteur de recherche. Quant aux comparateurs de prix, les internautes n’y ont recours que dans 6,7 % des cas. Aux Etats-Unis, la situation est pire, assure Google, qui pointe que 55 % des acheteurs américains commencent d’abord leur achat en ligne sur Amazon, 28 % depuis des moteurs de recherche, et 16 % vont directement vers les vendeurs en ligne.

Cette rhétorique est contestée par l’OIP. « Google Shopping n’a pas de stocks, ne livre aucun client, ne gère aucun retour. Il ne peut donc pas se comparer à un site de commerce en ligne », lance son coprésident Eric Leandri, également fondateur du moteur de recherche français Qwant. « Amazon n’était pas un concurrent, mais notre premier client. Notre cible, c’était la mère de famille monoparentale pour qui un euro est important, et qui compare d’abord les produits sur nos sites. Et non Amazon, un service pour Parisiens », conteste Olivier Sichel.

Il est vrai que les comparateurs de prix ont énormément souffert. Lagardère, qui avait racheté LeGuide.com en 2012 pour 98 millions d’euros, l’a cédé quatre ans plus tard à prix cassé à Kelkoo. Au-delà du problème Google Shopping, nombreux sont ceux qui semblent avoir été détrônés par les sites marchands eux-mêmes, historiquement clients des comparateurs de prix. Si l’on tape « frigidaire pas cher » dans Google, les premiers liens « naturels » (non publicitaires) renvoient vers Cdiscount.com, Rueducommerce ou Auchan.fr, et non vers Kelkoo.

L’OIP sera reçue la semaine prochaine par Margrethe Vestager. Olivier Sichel s’était félicité de l’arrivée de cette commissaire à la concurrence en 2014, qu’il considérait comme plus intransigeante que Joaquin Almunia, qui avait tenté une négociation amiable avec Google. Deux ans après son arrivée, il espère qu’elle pressera le pas. « On va lui répéter que la situation est urgente », dit-il. En théorie, Google risque une amende de plusieurs milliards d’euros.

Google-Bruxelles : Android, l’autre pomme de discorde

Google a jusqu’au 11 novembre pour répondre à la Commission européenne sur Android, son système d’exploitation mobile. Margrethe Vestager avait envoyé à Google un acte d’accusation le 20 avril, soupçonnant le moteur d’abus de position dominante. Le vice-président de Google Kent Walker a pointé un dossier reposant « sur quelques plaintes pour justifier des allégations juridiques plus génériques ». La Commissaire à la concurrence reproche à Google d’obliger les fabricants souhaitant « préinstaller le magasin d’applications Google Play Store sur leurs machines de se doter de Google Search comme moteur de recherche » ou encore de « décourager les fabricants d’utiliser une version modifiée d’Android ».