Des migrants attendent de monter à bord des bus lors de l’opération d’évacuation du campement de Stalingrad, le 4 novembre. | Thibault Camus / AP

C’est à chaque fois le même scénario. Dès que la porte d’un bus s’ouvre, des dizaines de migrants s’y précipitent. On se bouscule, on se pousse, de peur de ne pas partir. Hassan aimerait bien que son tour vienne.

À 5 h 30, ce Soudanais de 26 ans est sorti de sa petite tente. « De toute façon, j’ai pas vraiment dormi. J’avais froid, mais aussi j’attendais le départ. J’avais peur de le rater », raconte-t-il. Après une traversée éclair de l’Italie et deux ans et demi en Libye, il vient de passer un mois avenue de Flandre près de la place Stalingrad, dans le nord de Paris. « Mon choix, c’est la France. Je vais demander l’asile, ici. Là, je ne sais pas où on m’emmène, mais je sais que je veux y aller. » Dans la main, il traîne un sac plastique ; un pull en dépasse, un paquet de biscuits aussi.

À côté de lui, bonnet sur les yeux, Radwan acquiesce. Lui aussi a envie de dormir au chaud après un voyage épuisant et un long séjour en prison en Libye. Il sent bien que ce vendredi est un tournant dans sa vie, une nouvelle étape juste atténuée par crainte sourde, celle d’« être renvoyé en Italie où il a laissé ses empreintes ». Ce sujet-là l’inquiète, mais comme il ne pense plus désormais qu’au jour le jour, il espère surtout ne « pas rater le départ ».

Un millier de places en gymnase

Depuis cinq heures et le début de l’opération d’évacuation du plus grand campement de migrants que Paris ait connu, les voies sont fermées à la circulation dans le pourtour du 19e arrondissement, les entrées dans le périmètre dûment filtrées. Les autorités craignent un afflux de populations sans abri qui ne vivraient pas là mais souhaiteraient profiter de lits au chaud.

Comme Africains et Afghans faisaient campements à part, les 800 Afghans du quai de Jemmapes ont été les premiers emmenés dans seize bus, avant qu’une seconde opération plus importante ne s’enclenche avenue de Flandre, où les Africains dormaient encore à l’arrivée des 600 policiers et du long cortège de bus – plus de 80 ont été réquisitionnés pour cette journée.

Selon les estimations de la préfecture de région, il y aurait quelque 3 200 Africains à héberger. L’Etat a réussi à mobiliser au total près de 4 000 lits, « très majoritairement en Ile-de-France », dont « un millier en gymnase », a rappelé le préfet de région, Jean-François Carenco, en marge de l’opération. « Je sais bien que ces places en gymnase sont décriées, a-t-il ajouté, mais c’est à tort. Ce sont des lieux tampons qui nous permettent de bien prévenir les migrants de la structure vers laquelle ils vont être emmenés, et ce sas évite des retours ensuite vers la capitale. »

Sur les quelque 20 000 exilés pris en charge dans les 29 opérations précédentes, 5 000 auraient disparu de leur hébergement, selon le préfet de région. La ville de Paris, elle, a mis au pot 200 des 1 000 places de gymnases. Au total, 1 000 personnes évacuées, tous publics confondus, seront finalement hébergées dans la capitale.

Cohue lors de l’opération d’évacuation des migrants du campement de Stalingrad, le 4 novembre. | Thibault Camus / AP

Les associations de riverains, qui aident les migrants depuis l’été 2015, aussi bien lors des opérations récurrentes de police que pour la nourriture, étaient les plus dubitatives à propos de l’hébergement en gymnases. Dans les ruelles adjacentes, où elle livrait de l’information aux personnes qui arrivaient là un peu angoissées, Héloïse, la présidente du Bureau d’aide et d’assistance aux migrants (BAAM), demandait aussi à tous les membres de son organisation d’être présents vendredi soir, lors de leur permanence à la mairie du 4e arrondissement.

« Avec autant de places dans des salles de sport, nous risquons d’avoir beaucoup de retours précoces. Nous allons nous déployer pour tenter d’aider ces gens qui seront encore plus perdus ce soir que ce matin. Nous ne résoudrons pas tous les problèmes, mais nous essaierons d’informer les migrants sur leurs droits », rappelait la jeune femme, inquiète à l’idée que l’avenue de Flandre ne soit grillagée dans la journée pour empêcher les réinstallations de toiles de tentes et de matelas. C’est en effet le dispositif qui a été mis en place dans les autres secteurs de Paris, après l’évacuation des précédents campements.

Cosse, Hidalgo, Minc…

Très vite vendredi matin, les services de la ville ont aussi mené leur propre opération de mise à l’abri, regroupant au bout de l’avenue de Flandre les familles avec enfants, afin de les prendre en charge dans un de leurs foyers dédiés. Des places avaient été prévues pour elles ces derniers jours.

Si les migrants ignoraient leur destination, certains s’étaient inquiétés dès jeudi des lieux réquisitionnés. La présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, a ainsi regretté qu’un centre de loisirs ait été réquisitionné sur son territoire. Il s’agit du centre de Cergy-Pontoise, où avaient déjà été amenés en septembre 2015 les Syriens et Irakiens que la France était allée chercher à Munich. Tard dans la soirée, le directeur du lieu a lui aussi communiqué, rappelant qu’il voulait entamer des travaux cet hiver…

Même sous la pluie, l’avenue de Flandre était vendredi matin the place to be. La ministre du logement, Emmanuelle Cosse, y est passée à l’aube, la maire de Paris, Anne Hidalgo, y est aussi venue, ainsi que des personnalités plus inattendues comme Alain Minc, passé en observateur…

Du côté des habitués de ces opérations – celle-ci est la 29e depuis juin 2015 –, on espérait que ce « serait la dernière », comme le rappelait le directeur d’Emmaüs Solidarité, Bruno Morel. Une fois cette opération terminée, le centre de premier accueil de Paris pourra en effet ouvrir ses portes. Fin prêt, il n’attendait que l’évacuation de ce groupe d’exilés trop important pour y trouver refuge.