Bob Dylan lors de la cérémonie des Grammy Awards à Los Angeles, en février 2002. | HECTOR MATA/AFP

Chanteur, écrivain et professeur, auteur de sept albums entre Silvain Vanot (1993) et Ithaque (2016), Silvain Vanot a publié en 2001 le texte biographique Bob Dylan (Librio), ainsi que, en 2016, Johnny Cash - I Walk the Line (Le Mot et le reste). Quelques heures après l’attribution du Prix Nobel de littérature au musicien américain, jeudi 13 octobre, il s’est entretenu avec Le Monde, par téléphone.

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Quelle a été votre première réaction lors de l’annonce, tout à l’heure, du prix Nobel ?

Le Nobel à Dylan, ça fait un bout de temps qu’on en parle, je n’y croyais plus. Je suis très heureux – et je suis heureux que ça me fasse plaisir, comme soulagé. Les milieux littéraires et musicaux sont divisés, tant mieux : à 75 ans, Dylan continue de cliver ! Certains dénoncent la muséification du rock et la fin d’une contre-culture, rattrapée par l’Académie, les puristes poussent des cris d’orfraie… Moi, je vois dans ce prix la reconnaissance d’une œuvre qui a une portée morale, qui a fait avancer l’humanité, au même titre que la précédente lauréate, Svetlana Aleksievitch, dont les textes magnifiques, basés sur des témoignages, sont tout aussi « impurs » que ceux de Dylan.

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Quels rapports ses chansons entretiennent-elles avec la poésie ?

Son oeuvre est inégale, comme celle de la plupart des artistes, du reste. Je ne suis pas un fan béni-oui-oui. Certains disques – les tout derniers notamment –, certains concerts cèdent parfois à la facilité. Mais, de même que Leonard Cohen, qui vient de confier tout ce qu’il lui doit dans un superbe article du New Yorker, je pense que Dylan a dépoussiéré la poésie. Aux côtés de ses amis de la Beat generation, il l’a arrachée à tout ce qu’elle pouvait avoir d’institutionnel, d’élitiste. C’est un provocateur visionnaire, en même temps qu’un homme de culture, de traditions – son écriture fait écho aux films de Fellini, à son éducation juive, aux poètes japonais ou médiévaux, de Villon à Shakespeare… Les mauvaises langues diront qu’on a donné le Nobel à un melting-pot : d’accord, mais quel melting-pot !

Comment décririez-vous son style d’écriture ?

Ce n’est pas un piètre écrivain, mais ce sont moins ses textes que sa langue, dans toute son oralité et sa sonorité, qui nous touche : l’alternance entre la rugosité et la douceur, le plaisir des euphonies, le choix des métaphores plutôt que des comparaisons, l’enchaînement de passages assez simples, ordinaires, et de formes très stylisées, ornées, maniéristes, un débit insensé, une voix qu’il place comme personne. En cela, il est absurde de vouloir traduire Dylan, comme il est vain, d’ailleurs, de traduire la poésie.

Vous souvenez-vous de votre découverte de sa musique ?

J’étais gamin, je suis tombé sur une compilation de ses titres les plus connus. Tout de suite, j’ai eu conscience que ce n’était pas une voix ordinaire : sa détermination, notamment, m’a impressionné. Ces jours-ci, je donne des cours aux Beaux-Arts sur le thème du silence. Ce matin, juste avant l’annonce du Prix Nobel, je songeais justement à faire réfléchir mes élèves à cet extrait de Love Minus Zero/No Limit, qui dit tout, je crois, de ce qui m’émeut chez lui : « My love she speaks like silence. »

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