Pas un jour ou presque sans attaque au Mali. Forces gouvernementales et populations civiles, rebelles touaregs et arabes de l’Azawad – la partie septentrionale du pays qu’ils revendiquent –, casques bleus de la Mission des Nations unies au Mali (Minusma) et soldats français de l’opération « Barkhane » sont les cibles quasi quotidiennes de la guérilla menée par les groupes djihadistes toujours implantés au Mali.

Dimanche 6 novembre au matin, un soldat de la paix togolais et deux civils maliens ont été tués dans une embuscade à une quarantaine de kilomètres de Douentza, au centre du pays. Sept casques bleus ont été blessés dans l’attaque, renforçant encore davantage le statut de la Minusma de mission la plus périlleuse pour les militaires qui la servent. A peine quarante-huit heures plus tôt, un sous-officier de l’opération « Barkhane » succombait à ses blessures après que son véhicule a sauté sur une mine aux environs de Kidal. Une mort qui porte à dix-huit le nombre de soldats français tués au Mali depuis janvier 2013 et le déclenchement de l’opération « Serval ».

Lundi, c’est à Banamba, à moins de 150 km de la capitale, que des hommes armés ont fait irruption, attaquant la gendarmerie et libérant les détenus de la prison. Dans la nuit de samedi à dimanche, une base de l’armée malienne avait été prise d’assaut dans la région de Tombouctou, confirmant une fois de plus qu’en dépit des formations dispensées par l’Union européenne les militaires déployés par Bamako s’avèrent le plus souvent incapables de résister aux combattants islamistes.

« Laïcité et unicité du territoire »

Derrière cette multiplicité d’attaques émerge le visage enturbanné d’un homme à multiples facettes. Figure des rébellions touareg des années 1990 et 2000, converti depuis au djihadisme, Iyad Ag-Ghali apparaît comme le principal instigateur de la lutte contre les autorités maliennes et les forces internationales. Coup politique ou bluff ? Il y a une semaine, le président du Haut Conseil islamique du Mali, Mahmoud Dicko, qui n’a jamais caché ses contacts avec l’insaisissable rebelle, révélait être en possession d’une lettre du chef d’Ansar Eddine. Datée du 27 septembre, Iyad Ag-Ghali y affirmait accepter « le cessez-le-feu que vous nous avez demandé », reconnaissait « l’intégrité territoriale du Mali », mais repoussait « toute personne qui rejette la charia ». Aucune réaction officielle n’est parvenue de Bamako après les déclarations prêtées au chef djihadiste. Prudente sur l’authenticité du courrier, une source haut placée à la présidence reconnaissait tout juste en avoir « pris note », mais sans fermer la porte à d’éventuelles discussions. « Tout dépend de quoi il veut discuter mais tout ce qui peut mettre fin à la belligérance est positif », indique-t-elle sous couvert d’anonymat, tout en prenant soin de rappeler deux lignes rouges : « La laïcité et l’unicité du territoire. » A Bamako, des voix du pouvoir comme de l’opposition plaident depuis des mois pour l’ouverture de négociations avec Iyad Ag-Ghali. Seulement, les signaux envoyés par ce dernier ne vont pas forcément dans le sens de la paix. Ansar Eddine a revendiqué, selon le site mauritanien Alakhbar, dix attaques entre le 4 octobre et le 6 novembre et indiqué, dans un communiqué, sa détermination à poursuivre le combat « contre les croisés et leurs alliés ».

Porteur du glaive dans les zones désertiques autour de Kidal, dans le nord-est du Mali où il peut profiter des déchirements au sein de la communauté touareg sur fond de rivalités claniques, politiques et mafieuses, Iyad Ag-Ghali fait également office de parrain de l’instabilité qui se développe depuis plus d’un an sur les terres de l’ancien Empire peul du Macina, dans le centre du pays. « On ne connaît pas les chefs militaires du Front de libération du Macina, qui n’existe sûrement pas, mais on a pu noter que des attaques comme celle de Nampala en juillet ont vraisemblablement reçu le soutien d’Ansar Eddine », relate le chercheur Yvan Guichaoua, de l’université de Kent, tout en prenant soin de préciser que la dégradation sécuritaire dans cette zone est alimentée par des revendications et des récriminations locales.

« Les forces gouvernementales ont mené [dans la zone] des opérations militaires contre les groupes armés islamistes qui ont fréquemment débouché sur des arrestations arbitraires et des actes de torture », analyse pour sa part l’anthropologue Boukary Sangaré. « Dans le Macina, écrit-il par ailleurs, des pasteurs transhumants, ne voulant plus se soumettre aux règles établies (…) se sont armés et ont décidé de ne plus payer de taxes pour avoir accès aux plantes fourragères. Le djihad apparaît ainsi comme une simple option instrumentale en vue d’objectifs autres que la diffusion de la foi rigoriste. »

Puissants soutiens à Bamako

Cette assertion pourrait également valoir pour des populations arabes et peuls des régions de Gao et Ménaka qui, après avoir servi dans les rangs du Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), ont rejoint ceux de la Plateforme, une alliance de groupes armés disposant de puissants soutiens à Bamako.

Dans ce contexte de recomposition où les combattants naviguent d’un mouvement à l’autre, les deux grandes organisations djihadistes investissent notamment sur le terrain de la communication. Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), présent surtout dans la région de Tombouctou, vient de mettre en ligne une vidéo de l’exécution de deux hommes, accusés de collaborer notamment avec les forces françaises.

De son côté, l’Etat islamique a reconnu fin octobre l’allégeance d’Abou Walid Al-Sahraoui, un ancien du Mujao qui a revendiqué des attaques contre un poste de douane au Burkina Faso et une prison au Niger mais qui, d’après une bonne source, « fait beaucoup de bruit pour attirer l’attention mais n’est pas forcément le plus dangereux ».

Alors que l’armée française demeure engagée depuis près de quatre ans au Mali et que son retrait semble loin d’être programmé, le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, a appelé une nouvelle fois dimanche le président Ibrahim Boubacar Keïta à prendre les « initiatives nécessaires pour assurer l’intégration des peuples du nord dans la communauté malienne ». Quelques jours plus tôt, l’un des proches du ministre concédait sa déception : « Au Mali, soufflait-il, on a peut-être gagné la guerre, mais l’on a échoué à établir la paix. »