Quelles sont les limites qui peuvent être opposées à l’expression de convictions religieuses dans les entreprises privées ? Sur cette problématique, source de crispations croissantes, au dire de nombreux employeurs, le gouvernement entend à son tour donner des éléments de réponse. Un guide dans sa version quasi définitive a être dévoilé, lundi 7 novembre, aux partenaires sociaux par la ministre du travail, Myriam El Khomri. Le document, de 32 pages à ce stade, entend exposer « les règles fixées par le droit » et apporter des indications « concrètes » aux salariés comme aux manageurs.

« Les organisations syndicales et patronales ont exprimé le souhait de disposer d’un guide pratique, un outil qui leur permette d’avoir des réponses opérationnelles, affirme Mme El Khomri. Même si la plupart des situations qui se présentaient en entreprise finissaient par se résoudre sans conflit. » Dans l’entourage de la ministre, on ajoute que cette requête des partenaires sociaux « a commencé à apparaître de plus en plus lors des discussions que nous avions avec eux, sur l’état d’urgence, après les attentats ». « L’idée est vraiment d’apaiser, en rappelant les règles qui existent », enchaîne Mme El Khomri.

Cette initiative n’est pas une première. De grands groupes, comme EDF, ont déjà édité leur propre guide. La CFDT et l’Observatoire de la laïcité en ont également diffusé un. Le fait qu’ils existent est « le signe que le besoin d’avoir une référence commune se faisait sentir », estime-t-on Rue de Grenelle. Son contenu n’est « ni coercitif ni normatif », souligne-t-on, l’objectif étant de fournir des solutions aux situations susceptibles de survenir : une salariée peut-elle porter le foulard islamique dans l’enceinte de l’entreprise ? Installer des objets religieux sur son espace de travail est-il permis ?

C’est la direction générale du travail (DGT) qui a tenu la plume ; la copie a été retravaillée, après deux « rounds de discussions » avec les partenaires sociaux. Les représentants des cultes et l’Observatoire de la laïcité ont également été entendus, affirme l’entourage de Mme El Khomri.

Clause de neutralité

La démarche est bien accueillie par plusieurs organisations syndicales. « Notre avis est plutôt positif », déclare Jean-Louis Malys (CFDT). Les tensions liées au fait religieux dans le monde du travail tiennent souvent à « l’ignorance » qui prévaut en la matière, poursuit-il ; le guide peut contribuer à les faire baisser en rappelant « les éléments légaux » et en apportant « des conseils pragmatiques ». « Nous avions salué l’initiative dès la première réunion, renchérit Cristelle Gillard (FO). Aborder la question sous un angle pratico-pratique nous semble satisfaisant. » Le document élaboré par le ministère du travail « est globalement bien fait », observe Richard Bonne (CFTC). « C’est bien d’accompagner les acteurs de terrain. »

Mais il y a plusieurs bémols. FO regrette que ses remarques sur la teneur du guide n’aient pas été intégrées : « Il n’y a pas eu vraiment de concertation », dit Mme Gillard. Et certains passages posent question, notamment celui dans lequel « le ministère du travail invite vivement les employeurs à mettre en place » une clause de neutralité dans leur règlement intérieur, après en avoir discuté « avec les représentants du personnel ». Une disposition prévue dans la loi travail et donc reprise dans le guide. « Ne risque-t-on pas de créer des problèmes là où il n’y en avait pas et là où ils étaient résolus par des mécanismes d’ajustement informels ? », s’interroge M. Bonne. « Nous serons vigilants sur la mise en place et veillerons à ce qu’il n’y ait pas d’application abusive », prévient M. Malys.

Céline Verzeletti (CGT), elle, se montre « plus que réservée ». Le guide pose un souci, d’abord parce qu’il est mis au point « dans le contexte de l’état d’urgence ». De plus, « il traite du fait religieux comme un problème », sans rappeler suffisamment, à ses yeux, que la liberté de religion est un principe fondamental. Il risque, par-dessus le marché, d’engendrer des « divisions entre salariés », de provoquer des « contentieux » et « d’empiéter sur d’autres libertés des salariés », par exemple la liberté syndicale.