Manifestation contre  l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le 8 octobre. | JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP

Et si le sol du bocage était inapte à la construction des pistes du futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes ? C’est l’argument développé par Luc Brohan, chercheur au CNRS de Nantes en physique et chimie des matériaux, qui a compilé cinq thèses récentes de doctorat consacrées « aux traitements des sols argileux par liants hydrauliques ». Ces cinq thèses, conduites entre 2010 et 2012, avaient pour objet de rechercher l’efficacité des traitements par liants hydrauliques (chaux et mélange chaux-ciment) dans la consolidation des sols argileux, tel celui de Notre-Dame-des-Landes. Elles étaient produites dans le cadre de projets de recherche pilotés par des établissements publics.

Il a fallu alors plusieurs mois à Luc Brohan pour se pencher sur ces résultats. Sa conclusion est sans appel : la méthode choisie par le concessionnaire du futur aéroport, AGO-Vinci, pour consolider le sol de Notre-Dame-des-Landes, est inefficace. Il a décidé d’alerter le ministère de l’environnement, auquel il a écrit le 6 novembre, et de rendre public son travail de synthèse.

Pour durcir le sol argileux et humide de la zone où doit être construit l’aéroport, AGO-Vinci a prévu un traitement aux liants hydrauliques (chaux et mélange chaux-ciment). Or, explique Luc Brohan, la zone retenue pour le projet d’aéroport est majoritairement constituée d’altérite, composée de micaschistes, de kaolinite et de quartz. Cette composition minérale, avec près de 50 % de mica, peut avoir des « effets délétères » sur la consolidation du sol.

Fin décembre 2015, l’Institut des routes, des rues et des infrastructures pour la mobilité (IDDRIM), rattaché au ministère de l’environnement, concluait : « Certains minéraux particuliers, comme les micas, peuvent réduire l’efficacité du traitement voire l’annuler complètement. »

La piste va s’affaisser

L’une des thèses de doctorat s’intéressait plus spécifiquement à comprendre la « réponse physico-chimique et mécanique des sols traités aux liants lors d’une circulation d’eau ». En pleine zone humide, alors que la présence d’eau dans le sol est importante, cette question est primordiale, souligne Luc Brohan. « La présence d’eau dans le sol finira par annihiler tous les effets du traitement dans un délai rapide : la piste va donc s’affaisser », explique-t-il. Elle pourrait certes être construite, mais elle ne résisterait pas au temps, se mettant à gondoler, alors que « l’exigence de planéité d’une piste est rédhibitoire ».

Certains éléments de ces thèses avaient déjà été soumis à Vinci par un journaliste du site Reporterre en 2014. Le concessionnaire avait alors affirmé avoir pris en compte la nature du sol de Notre-Dame-des-Landes, avançant un « traitement spécifique avec des liants hydrauliques, sur une épaisseur de 60 cm ».

Pour Jean-Marie Ravier, ingénieur de l’Ecole centrale et PDG d’une entreprise de mécanique, qui s’est associé à Luc Brohan pour faire la synthèse de ces différents travaux : « Il est possible de construire ces pistes, mais on sait aujourd’hui que cela ne tiendra pas. » Cet homme, qui s’est engagé dans le combat contre le futur aéroport, estime qu’une autre solution devra nécessairement être trouvée. « On peut envisager de planter des pieux qui encaisseraient la charge de la piste et des avions, à raison de un tous les 4 m², qui iront jusqu’à la roche mère, soit à un minimum de 25 mètres de profondeur, mais le coût serait considérable », avance Jean-Marie Ravier.

50 à 70 jours de brouillard annuels

On peut aussi, selon lui, construire la piste avec des plaques de béton armé, comme cela se fait aux Etats-Unis – la piste de l’actuel aéroport Nantes-Atlantique a été construite ainsi par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale. Mais là encore, les coûts seraient augmentés considérablement. « De plus, Vinci sait faire des enrobés bitumineux, comme pour ses autoroutes, mais ne fait pas de plaques de béton », dit-il.

Pour les deux hommes, la géologie du sol de Notre-Dame-des-Landes n’est donc pas compatible avec la construction des pistes, telle qu’envisagée par AGO-Vinci. La météorologie non plus, s’amuse Jean-Marie Ravier, qui rappelle que la zone humide de Notre-Dame-des-Landes se traduirait par 50 à 70 jours de « brouillard métérologique » annuels – « le brouillard météorologique correspond à une visibilité horizontale inférieure à 1 000 mètres pendant au moins quelques minutes », explique Météo France –, contre 52,2 pour l’actuel aéroport de Nante-Atlantique à Bouguenais et 42,7 pour celui de Saint-Nazaire, selon Météo France (dans une étude sur le « Projet d’aéroport du Grand Ouest, Notre-Dame-des-Landes » de 2005).