Patrick Drahi, patron d’Altice. | PHILIPPE WOJAZER / REUTERS

C’est un message destiné à décourager les mauvaises pratiques. L’Autorité de la concurrence a infligé, mardi 8 novembre, une amende de 80 millions d’euros à Altice pour avoir mis en œuvre, avant même d’avoir reçu son aval, le rachat de SFR et de Virgin Mobile en 2014. Le groupe de télécoms a décidé de reconnaître les faits et de ne pas faire appel de la décision, une attitude qui a visiblement pesé dans la facture finale. « Les pratiques dénoncées ont été mises en œuvre de bonne foi et dans un contexte juridique incertain », a assuré l’opérateur dans un communiqué, tout en souhaitant « reprendre un dialogue constructif avec le régulateur ». En théorie, l’amende aurait pu représenter plusieurs centaines de millions d’euros.

L’amende reste un record au niveau mondial pour des faits de cette nature. En Europe, seul Electrabel avait reçu une sanction de 20 millions d’euros, mais le contexte était différent dans la mesure où l’affaire portait sur un rachat non examiné en amont par les autorités de concurrence.

Le groupe Altice, lui, a scrupuleusement respecté les règles en notifiant l’opération le 5 juin 2014, soit deux mois après avoir signé le rachat de l’opérateur télécoms. Mais SFR et Numericable ont commencé à collaborer sous la houlette du patron d’Altice, Patrick Drahi, lui-même, sans attendre l’autorisation des sages de la Rue de l’Echelle le 30 octobre.

Comportements accablants

L’Autorité égrène une kyrielle de comportements accablants. Altice avait ainsi accès en temps réel aux informations de SFR et de Virgin Mobile. Dès le mois de mai 2014, soit six mois avant d’avoir reçu l’autorisation de l’Autorité, les équipes de Numericable et de SFR ont commencé à travailler sur la mise en œuvre de nouvelles offres très haut débit de SFR, « utilisant la box, les bouquets TV et le réseau de Numericable », relève l’Autorité. Ce travail en amont a permis à SFR de lancer sa nouvelle box le 18 novembre 2014, quasiment au lendemain de l’aval de l’Autorité. Or, en choisissant cette box, dont l’objectif était de faire migrer ou de récupérer des clients du câble, SFR, qui privilégiait jusque-là le développement de son réseau fibre, a opéré un virage stratégique majeur.

Autre exemple, en juin 2014, Altice est intervenu directement dans la politique commerciale de SFR, en lui demandant de suspendre une offre promotionnelle sur la fibre, qui devait se poursuivre jusqu’en août. Entre mai et octobre, c’est également la direction d’Altice qui a validé les modalités de la participation de SFR Collectivités à un appel d’offres sur le développement d’un réseau très haut débit en Seine-et-Marne. Toujours en octobre, les dirigeants d’Altice ont entériné la renégociation de l’accord de partage de réseau avec Bouygues. Ils ont également refusé un certain nombre d’investissements que devait consentir SFR pour ses projets informatiques.

« Altice s’est substitué à SFR »

Enfin, SFR et Altice se sont coordonnés pour racheter Virgin Mobile. Au départ, SFR avait le projet de reprendre le petit opérateur. Puis, « le PDG de SFR [Jean-Yves Charlier] a communiqué au président d’Altice [Patrick Drahi] le montant de l’offre. Finalement, Altice s’est substitué à SFR », indique l’Autorité. Nommé le 18 novembre 2014, le nouveau directeur général de Virgin Mobile, Pascal Rialland, a pris ses fonctions dès le mois d’octobre, et ce alors que l’Autorité a donné son feu vert au rachat le 27 novembre.

Pourquoi Altice a-t-il pris un tel risque ? Peut-être parce que le temps gagné sur l’opération vaut bien les 80 millions d’euros d’amende infligés, une égratignure pour SFR qui a dégagé l’an passé 682 millions d’euros de résultat net.