Une usine du groupe de chimie allemand Bayer, à Leverkusen, sur le Rhin, en septembre. | PATRIK STOLLARZ / AFP

L’industrie chimique française a de nouveau le vent en poupe. Malgré la grève des raffineries qui a perturbé l’activité au printemps, ce secteur mal-aimé s’apprête à boucler sa quatrième année consécutive de croissance. Mieux : après une longue période de recul des effectifs, les industriels estiment pouvoir relancer l’emploi, pour peu que les pouvoirs publics prennent les mesures nécessaires.

« Nous pourrions créer 60 000 postes en quinze ans, pour passer de 165 000 à 225 000 salariés », affirme Pascal Juéry, le président de l’Union des industries chimiques (UIC). Son estimation s’appuie sur une étude à l’horizon 2030 réalisée par le cabinet Advancy et publiée mardi 8 novembre.

Avec la concurrence des pays d’Asie et du Moyen-Orient puis la crise déclenchée par la faillite de la banque Lehman Brothers en 2008, la chimie a traversé des années noires. « En dix ans, de 1999 à 2009, nous avons perdu 35 000 salariés », rappelle Daniel Morel, le responsable de la chimie au sein de la CFDT.

Aujourd’hui, le secteur est sorti de la tempête. Depuis un an, la production a dépassé son niveau d’avant la crise, et la courbe continue de monter. En 2016, l’industrie devrait afficher une croissance en volume de 1 %, du même ordre qu’en 2015, estime l’UIC.

Stimuler la concurrence dans le gaz

Une embellie liée à la fois à l’essor de marchés tels que l’automobile et à la baisse des prix du pétrole. Elle a donné un ballon d’oxygène à toutes les entreprises qui transforment le pétrole en plastique ou utilisent des hydrocarbures dans leurs processus de production. « Tout le secteur européen de la chimie se porte bien », résument les analystes de la société d’assurances-crédit Euler Hermes dans une note publiée le 26 octobre. Grâce à la « sagesse » des prix des matières premières, Bayer, BASF, Air Liquide et les autres grands chimistes européens devraient dégager un taux de marge opérationnelle de 10 % en 2016, un niveau jugé solide.

Cette conjoncture favorable a déjà permis de stopper les suppressions d’emplois dans la branche. L’UIC estime possible d’aller plus loin, sous réserve que l’Etat y donne un – sérieux – coup de pouce. L’organisation propose une série de mesures.

Certaines correspondent à la plate-forme du Medef dans son ensemble (poursuivre la flexibilisation du droit du travail, alléger les charges patronales, etc.). D’autres, plus spécifiques à la chimie, visent à réduire les prix de l’électricité, jugés trop élevés par rapport à l’Allemagne, à stimuler la concurrence dans le gaz en important du gaz de schiste américain ou encore à transposer a minima les réglementations européennes afin que les sociétés françaises ne soient pas désavantagées. Si toutes les mesures préconisées étaient mises en place, la croissance du secteur pourrait être portée de 0,7 % à 2,5 % par an, assure l’UIC. Et l’emploi suivrait.

« Du pur lobbying préélectoral »

Si rien n’est fait, sept usines risquent au contraire de disparaître en France, selon l’étude : cinq sites de chimie fine par manque de compétitivité et deux de chimie de base en raison du renchérissement attendu des matières premières. Au total, quelque 2 000 emplois pourraient être perdus.

« Du pur lobbying préélectoral », estime la CFDT. « Comme d’habitude, les patrons veulent alléger les règles qui visent à protéger la sécurité et la santé du personnel comme de la population, critique aussi Carlos Moreira, le leader de la CGT de la chimie. Mais ils ont déjà obtenu le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, et cela n’a stimulé ni l’emploi ni l’investissement. »

Au-delà de l’embellie conjoncturelle, la compétitivité de la chimie française reste néanmoins problématique. Pendant que la France tenait vaille que vaille, la Chine, premier pays producteur au monde, s’est lancée dans un programme d’expansion massif, de même que l’Arabie saoudite. Profitant de coûts imbattables grâce au gaz de schiste, les chimistes américains ont, eux, investi 90 milliards de dollars (81 milliards d’euros). « Leurs usines devraient être opérationnelles d’ici à 2021 », indique Euler Hermes. Pour les groupes européens, qui ont injecté bien moins d’argent dans leurs sites, le choc pourrait alors être violent.