Le lancement officiel est prévu mardi 8 novembre dans les Yvelines, département « pilote », avant sa généralisation dans toute la France à partir du début 2017. | Rémi Vincent / CC BY 2.0

La polémique autour du fichier regroupant les données personnelles des Français s’est durcie lundi 7 novembre avec les protestations de la secrétaire d’Etat au numérique et du Conseil national du numérique (CNNum), qui a demandé sa suspension, poussant le ministre de l’intérieur à monter au créneau.

Dans une lettre de quatre pages adressée à cet organe consultatif, Bernard Cazeneuve a assuré que sa création s’est effectuée « dans la transparence », qu’il y a eu « débat » et que « les étapes du travail interministériel » ont bien été suivies. « Je ne veux pas entrer dans des polémiques inutiles », a-t-il ajouté en réponse à la secrétaire d’Etat Axelle Lemaire, en marge d’un déplacement à Calais. Tout en disant respecter le fait que sa collègue exprime ses « convictions », il a néanmoins lancé : « le gouvernement c’est la solidarité. »

Le fichier, baptisé « Titres électroniques sécurisés » (TES), a fait l’objet d’un décret paru le 30 octobre au Journal officiel. Il réunit dans une seule base de données – identité, couleur des yeux, domicile, photo, empreintes digitales… – les détenteurs d’un passeport et d’une carte d’identité et concerne potentiellement près de 60 millions de Français.

« De réels problèmes de sécurité »

Son lancement officiel est prévu mardi dans les Yvelines, département « pilote », avant sa généralisation dans toute la France à partir du début 2017. Mais sa dimension exceptionnelle, les risques de piratage et, surtout, les conditions de sa création, sans concertation ni débat parlementaire, suscitent la controverse.

Dans un entretien au quotidien libéral L’Opinion publié lundi, Mme Lemaire a déploré « un dysfonctionnement majeur » : « Ce décret a été pris en douce par le ministère de l’intérieur, un dimanche de Toussaint, en pensant que ça passerait ni vu ni connu. » Pour elle, « ce genre de fichier » pose « de réels problèmes de sécurité » à l’heure où les cyberattaques constituent un fléau à grande échelle.

Le CNNum a également appelé le gouvernement à « suspendre la mise en œuvre » du TES. Déplorant « l’absence de toute concertation préalable à la publication du décret », il l’a invité à ouvrir « une réflexion interministérielle » sur le sujet. Selon l’organe consultatif, le nouveau fichier laisse « la porte ouverte à des dérives aussi probables qu’inacceptables » et est « propice aux détournements massifs de finalités ».

La semaine dernière, la présidente de la Commission informatique et libertés (CNIL), Isabelle Falque-Pierrotin, s’était déjà élevée contre la création d’un dispositif aussi sensible sans débat parlementaire. « Il ne nous paraît pas convenable qu’un changement d’une telle ampleur puisse être introduit presque en catimini », avait-elle affirmé à l’Agence France-Presse, en appelant la représentation nationale à se saisir du dossier pour en peser « les avantages et les inconvénients ».

« Mesure liberticide et dangereuse »

Regrettant également l’absence de « débat démocratique », le Parti communiste (PCF) a demandé lundi au gouvernement d’« abroger le décret et de mandater la CNIL et le CNNum pour faire des propositions alternatives de sécurisation des titres d’identité sous contrôle parlementaire ». Europe écologie-Les Verts a aussi réclamé la mise en place d’un dialogue sur ce sujet, dénonçant « une mesure liberticide et dangereuse ».

A droite, Jean-François Copé (Les Républicains) s’est dit « très circonspect », estimant que l’absence d’information d’Axelle Lemaire sur le sujet était « un méga couac gouvernemental ». Le nouveau fichier « respecte strictement l’Etat de droit », a jugé en revanche l’ancien premier ministre François Fillon (LR), lui aussi candidat à la primaire de droite pour la présidentielle.

En 2012, un projet de loi de la droite créant un mégafichier pour lutter contre l’usurpation d’identité et permettre l’identification d’une personne à partir de ses données – empreintes digitales notamment –, y compris à des fins judiciaires, avait été censuré par le Conseil constitutionnel en raison de sa seconde finalité. Pour le ministre de la justice, Jean-Jacques Urvoas, qui avait critiqué à l’époque ce dispositif, le TES répond aujourd’hui « à l’objectif d’un juste équilibre entre la protection de l’identité de nos concitoyens et la garantie des libertés publiques ».