Dans le désordre de son bureau, Christine Hayanga tire à elle une petite boîte en carton et en sort une masse argentée et fripée, dont elle se coiffe avec soin. Mais le couvre-chef est trop petit. Mal ajusté, il penche, s’écroule sur le front de l’avocate kényane bien en chair. Pas grave, elle assume : « Les médecins ont leur blouse, les policiers leur uniforme, les cuisiniers leur toque. Nous, les avocats, on a la perruque ! », dit-elle sans se démonter.

Pourtant, malgré l’enthousiasme de Mme Hayanga, la querelle des perruques fait rage au Kenya. Le couvre-chef cérémoniel est en effet perçu comme un symbole colonial par de nombreux Kényans, qui ont regardé avec affliction le nouveau « chief justice » et président de la Cour suprême, David Maraga, plus haute autorité du système judiciaire, prêter serment le 19 octobre coiffé d’une perruque poudrée et drapé d’une lourde robe pourpre et noire. Le tout en gardant un air digne malgré un vif soleil d’Equateur.

« Un anachronisme horrible et ridicule »

L’image a fait ricaner, mais en a aussi énervé plus d’un. Sénateur de Kisumu, et opposant en chef à la perruque, Peter Anyang Nyong’o ne s’en remet pas. « C’est un anachronisme horrible et ridicule ! », rugit le parlementaire, qui n’hésite pas à traiter les accros aux faux cheveux de « clowns ». Car quoi de plus british que ce postiche confectionné en crin de cheval ? La wig est passée du crâne des magistrats britanniques à ceux du Kenya nouvellement indépendant. Version « short » avec petits rouleaux pour les avocats et « full-bottomed », jusqu’aux épaules, pour les magistrats. « La garder fait de nous des Noirs avec un masque de Blanc », s’indigne le grognard de la politique kényane.

Au Kenya, on assiste pourtant bien à un retour de la perruque. Les « speakers », présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, dont le protocole donne aussi droit à couvre-chef poudré, n’hésitent pas non plus à poser fièrement, faux cheveux au vent, sur leur compte Twitter respectif. Des perruques, le cabinet de Christine Hayanga en acquiert régulièrement, les mettant à la disposition des jeunes avocats et magistrats qui souhaiteraient les louer ou les acheter. « C’est très populaire. Tout le monde veut la sienne en ce moment ! », insiste-t-elle.

La perruque avait pourtant perdu du terrain au Kenya. Lors de sa prestation de serment en 2011, le dernier « chief Justice », Willy Mutunga, avait renoncé avec fracas à celle-ci, de même qu’à la robe rouge. « Je serais très heureux de porter une couverture masai. Ça, au moins, c’est kényan ! », plaisantait-il alors. Un an plus tard, c’est tête nue que le juge Mutunga rendait optionnel le port de la perruque dans les cours de justice kényanes.

Dans son sillage, les « speakers » du Parlement tombaient la perruque, qu’ils ne portaient plus qu’en des circonstances exceptionnelles. « L’idée était de démystifier la justice, de la rendre plus proche des gens, dans le sillage de la nouvelle Constitution », se souvient Isaac Okero, président de la Law Society of Kenya, qui représente plus de 13 000 avocats kényans. La circulaire de Mutunga remplaçait la formule « My Lord » pour s’adresser aux magistrats et avocats par un « Votre Honneur » ou un « Mheshimiwa » swahili.

Aucun rapport avec les cheveux africains

Pourquoi tant de haine ? Selon la blogueuse malawienne Sitinga Kachipande, qui a publié en 2012 une tribune sur le sujet dans le Guardian, le couvre-chef est pire qu’une survivance coloniale. Selon la jeune femme, outre son prix insoutenable pour les systèmes judiciaires africains (de 350 à 5 500 euros pour du premier choix), la perruque est un objet quasi racialisé : « [elles] sont jaunes, blondes, grises ou blanches », « afin d’imiter la texture des cheveux des blancs Britanniques » et « rien de cela n’est ondulé ou afro et ne se rapproche des cheveux noirs africains ».

« Sur la perruque, la profession est divisée », tempère M. Okero, qui a lui même hérité d’une belle perruque de son père, juge dans le Kenya des années 1960. « J’y suis attaché ! Même si ça fait un look bizarre, que ça donne chaud. Mais allez à la prestation de serment des avocats du barreau : ils portent tous une perruque. Pour eux, c’est un symbole de justice et d’autorité. Ils en sont fiers et se la sont appropriée. »

« Ce n’est pas parce que quelque chose est d’origine britannique qu’il faut forcément l’abolir !, renchérit Patricia Kameri, doyenne de l’école de droit à l’Université de Nairobi. Et le droit kényan, c’est du droit anglo-saxon, il faut l’assumer. » Sur le continent, le Kenya n’est pas seul à s’entêter du couvre-chef, qu’on porte encore sans honte dans de nombreux pays d’Afrique, anciennes colonies britanniques (Ghana, Gambie, Zimbabwe, Sierra Leone…).

L’Afrique, terre d’avenir pour la perruque ? Paradoxalement, le retour en grâce du postiche a lieu alors que celui-ci tombe en disgrâce au Royaume-Uni, et n’a plus droit de cité dans les affaires civiles en Angleterre et au pays de Galles depuis 2008. « On pourrait quand même essayer de la remplacer par quelque chose de plus africain, non ?! », estime le sénateur Nyong’o. Par quoi alors ? « Il y a des tas de symbole d’autorité en Afrique : les bâtons traditionnels, les peaux de bête, les poils de singes, le chasse-mouches », énumère-t-il.

Plus facile à dire qu’à faire. « Il a 42 ethnies différentes au Kenya, et les attributs de l’autorité et de la justice sont différents chez chacune d’entre elles », rappelle Patricia Kameri. « Il sera compliqué de trouver un symbole qui unisse tout le monde. Le symbole colonial permet aussi de ne pas s’aventurer sur ces terrains glissants et dangereux. » La perruque, toujours mieux qu’un crêpage de chignon.