« Non, nous ne suspendons pas ce décret ». Auditionné devant la Commission des lois de l’Assemblée nationale, mercredi 9 novembre, Bernard Cazeneuve a défendu, pendant une heure, la création d’un « mégafichier » stockant les données personnelles de 60 millions de Français.

Publié dans la plus grande discrétion en plein week-end de la Toussaint, le décret instituant ce fichier, qui ajoute au fichier des passeports – le fichier des titres électroniques sécurisés (TES) – celui des demandeurs de cartes d’identité, a provoqué une vive émotion chez les défenseurs des libertés publiques. Ces derniers ont notamment dénoncé l’absence de débat parlementaire et un passage en force pendant que les Français avaient le dos tourné.

Mardi, Bernard Cazeneuve avait accepté l’idée d’un débat parlementaire. Plusieurs députés, comme Laure de La Raudière et Lionel Tardy (Les Républicains) ont donc réclamé la suspension du décret avant la tenue de ce débat. « Si on a un débat parlementaire mais qu’on n’a pas de suspension du décret, je ne vois pas l’intérêt de la chose », a déclaré le second, mercredi, lors de l’audition du ministre de l’intérieur.

« Ce débat parlementaire peut permettre de compléter ce décret de tout élément normatif qui permettrait d’apporter au Parlement et à l’opinion publique les garanties dont ils ont besoin, a rétorqué le ministre. Donc ce n’est pas un débat pour rien ».

Bernard Cazeneuve a affirmé qu’il était « très désireux qu’il y ait un débat au Parlement ». Le député (Les Républicains) Philippe Goujon lui a toutefois rétorqué : « lorsque je vous ai interrogé sur la tenue d’un débat parlementaire, vous n’avez pas donné suite. »

Une protection informatique à la robustesse « avérée »

Au-delà des reproches sur le passage « en catimini » du décret qui l’institue, ce fichier, mis en place afin de lutter contre les contrefaçons et les vols de pièces d’identité lors de la demande d’une carte d’identité, soulève des inquiétudes auxquelles s’est efforcé de répondre Bernard Cazeneuve.

« Ce n’est pas un fichier d’identification, mais d’authentification », a martelé le ministre, faisant écho à la crainte qu’il soit possible d’identifier n’importe quel citoyen à partir d’une empreinte digitale ou d’une photo, stockées dans le TES.

« S’il est possible de remonter aux données biométriques à partir d’un nom, d’un prénom et d’une adresse, on ne peut absolument pas retrouver l’identité (…) à partir des photos et des empreintes. Le décret l’interdit totalement. (…) Quiconque le ferait serait en contradiction avec les textes. Cela relèverait d’une infraction pénale. »

Mais serait-ce toutefois techniquement possible ? « Nous l’avons conçu de façon à ce que techniquement, on ne puisse pas le faire », a assuré le ministre, sans donner plus de détails.

La question de la sécurité de ces données est aussi brandie par les opposants au fichier, à qui Bernard Cazeneuve a assuré qu’il bénéficiera « de protections informatiques dont la robustesse n’est pas espérée mais avérée », évitant de se montrer « exhaustif » pour ne pas fragiliser cette protection en la rendant publique.

Bernard Cazeneuve a indiqué que l’Anssi, l’agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, pourrait examiner la sécurité du fichier.

Dispositif de contrôle

Le ministre s’est plus largement dit prêt à introduire « un dispositif de contrôle annuel » pour vérifier « la manière dont le fichier est utilisé » :

« Il y a des structures dont c’est le rôle de pouvoir examiner la façon dont les applications sont mises en œuvre et si elles sont fiables. Non seulement je n’ai pas de problème à ce qu’on vienne regarder, mais je le souhaite ! »

Le député (Les Républicains) Guillaume Larrivé a quant à lui prêté main-forte à Bernard Cazeneuve, en critiquant les détracteurs de ce fichier : « Dès que l’Etat crée un fichier, on a le chœur des vierges effarouchées qui crie à Big Brother », a-t-il déclaré, avant de souligner que « le système des GAFA [Google, Apple, Facebook, Amazon] multiplie le traitement des données privées », sans que cela, selon lui, ne crée de scandale. « Il faut arrêter ce mauvais procès ».

Le Conseil national du numérique (CNNum), qui avait violemment critiqué le fichier, a, de son côté, annoncé mardi le lancement d’une « plateforme de concertation en ligne », invitant « les citoyens et les experts » à faire part de leurs propositions.

A l’issue des dix jours que durera l’opération, le CNNum s’est engagé à publier « une synthèse des débats qui viendra appuyer un avis dont la publication est prévue d’ici quelques semaines ». Une trentaine de contributions ont été faites depuis son lancement.