Présidente déléguée du Conseil d’analyse économique, Agnès Bénassy-Quéré revient sur les raisons du vote américain et ses conséquences économiques pour le pays et ses partenaires.

Comment analysez-vous la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine ?

Ce résultat illustre ce que l’on pressentait depuis longtemps : la mondialisation n’est pas soutenable pour un pays qui refuse d’en redistribuer les fruits par l’impôt et les services publics. Aux Etats-Unis, les dépenses publiques représentent environ 37 % du produit intérieur brut, contre plus de 50 % dans les pays scandinaves qui, eux, sont à l’aise avec la mondialisation. Toutefois, le vote Trump n’est pas majoritairement celui des plus pauvres : c’est celui des classes moyennes inférieures, dans les régions les plus désindustrialisées. On est bien loin de la réussite économique d’une certaine partie de l’Amérique, symbolisée par celle de la Silicon Valley. Aux Etats-Unis, l’envolée des inégalités n’a rien à voir avec ce que l’on en voit en Europe, même dans les pays les plus inégalitaires.

Le programme économique du nouveau président (baisse drastique des impôts, fermeture des frontières, remise en cause des accords commerciaux internationaux) est-il tenable ?

Il faudra voir dans quelle mesure il peut le mettre en œuvre s’il lui manque le soutien des institutions et des marchés. On l’a vu avec la Grèce ces dernières années : un pays fortement débiteur ne peut pas mettre en œuvre n’importe quelle politique sans le soutien de ses créanciers. Depuis la seconde guerre mondiale, le dollar est une monnaie internationale considérée comme une valeur refuge. Ainsi, les Etats-Unis, contrairement à la Grèce, n’ont eu aucun mal jusqu’ici à financer leurs déficits budgétaires et extérieurs. Mais cela peut changer. Surtout, la baisse des impôts voulue par Donald Trump, qui n’est à l’heure actuelle pas financée, peut engendrer une levée de boucliers au Congrès de la part des républicains modérés. La négociation du plafond de la dette a été un bras de fer aux Etats-Unis sous la présidence Obama.

Qu’attendre d’une fermeture des frontières telle que la prône Donald Trump ?

Ce vote est un choix des Américains, comme les Britanniques en ont fait un en juin en votant en faveur du Brexit [la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne]. Quand on est incapable de redistribuer les gains de la mondialisation et du progrès technique, la fermeture des frontières peut être vue comme le seul moyen pour protéger ou recréer de l’emploi, industriel notamment. Mais c’est coûteux et inefficace. Cela fera baisser le pouvoir d’achat des consommateurs et les revenus moyens des Américains seront plus faibles. C’est un choix de la société qui rappelle les politiques de substitution à l’importation en Amérique latine dans les années 1970.

Que peut-il se passer maintenant, avec l’effet d’entraînement d’un tel vote sur les autres pays confrontés prochainement à une échéance électorale, France en tête ?

La victoire de Trump est déjà largement comparée au Brexit. Mais c’est un choc beaucoup plus violent. D’abord parce que les Etats-Unis ont un poids économique bien supérieur au Royaume-Uni. Ensuite parce que, contrairement au Brexit, dont le processus prendra au moins deux ans et selon des modalités peu claires aujourd’hui, dès janvier, les Etats-Unis devront prendre des décisions économiques majeures (budget, fermeture des frontières…) On sait aussi désormais que ce qui peut arriver au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis peut arriver n’importe où.