Au Ghana, en 2012, un enfant se fait vacciner dans un centre de santé de la ville de Dodowa. | GAVI-Olivier Asselin

En 2015, la rougeole a tué 134 200 enfants de moins de cinq ans dans le monde, soit de 350 à 400 enfants par jour. Cette maladie reste donc l’une des causes importantes de mortalité des jeunes enfants – après les infections respiratoires, les maladies diarrhéiques, le paludisme et les méningo-encéphalites –, et ce malgré une progression considérable de la vaccination, de 79 % entre 2000 et 2015.

Dans un rapport publié jeudi 10 novembre, quatre organisations internationales – l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Unicef, le Centers for Disease Control and Prevention (CDC), The Global Alliance for Vaccine and Immunization (GAVI) –, alertent sur les insuffisances des progrès dans la lutte contre cette maladie, extrêmement contagieuse.

Certes, rappelle Kamel Senouci, épidémiologiste et spécialiste des politiques de vaccination à l’OMS, on est passé de 2,5 millions de décès d’enfant dus à la rougeole dans les années 1980 à moins de 150 000 aujourd’hui. « Mais c’est largement insuffisant. Les objectifs du plan d’action mondial adopté en 2012 n’ont pas été atteints », explique le docteur Senouci. Sur les six régions OMS (Afrique, Amériques, Europe, Méditerranée, Asie du Sud-Est, Asie-Pacifique), deux devaient avoir éliminé toute transmission endémique de la maladie en 2015.

« Le vaccin ne coûte rien »

Or, seules les Amériques, du Sud, centrale et du Nord, ont atteint le but. L’OMS espérait que l’Europe y arriverait, ce qui n’est pas le cas, et il semble donc difficile d’atteindre l’objectif prochain, quatre régions en 2020. « C’est d’autant plus inadmissible que le vaccin ne coûte rien [0,23 euro la dose], que l’on peut donc procéder à une double vaccination [avec rappel]. Des pays n’étant pas parmi les plus riches ont bien réussi à éliminer la rougeole ! », dénonce encore Kamel Senouci.

Lors d'une campagne de vaccination, à Kaya au Bénin, en 2015. | Photo : OMS

Le taux de couverture vaccinale a pourtant considérablement progressé : en 2015, 85 % des enfants ont été vaccinés avec une vaccination simple, contre 72 % quinze ans plus tôt. S’agissant des pays qui vaccinent avec un rappel (deux doses), soit plus de 80 % des pays dans le monde, le taux a progressé de 15 % en 2000, à 61 %. Cette augmentation aurait permis de sauver 20,3 millions d’enfants durant ces quinze années. Mais ces progrès ne sont pas dus qu’aux campagnes de vaccination et à l’amélioration des systèmes de santé qui proposent, en général, de vacciner les enfants dès neuf mois. « Le recul de la malnutrition dans de nombreux pays explique aussi celui de la maladie, car quand un enfant est mal nourri, il présente des carences et son système immunitaire est affaibli », explique le docteur Senouci.

La rougeole prospère donc dans des pays et des zones où les conditions sociales et sanitaires sont plus difficiles. Six pays – Ethiopie, République démocratique du Congo, Inde, Indonésie, Nigeria et Pakistan – concentraient, en 2015, plus de la moitié des vingt millions d’enfants malades de la rougeole et les trois quarts des décès dus à cette maladie.

Mais, ainsi que l’indique le rapport, d’autres régions ont vu les cas de rougeole progresser. Entre 2014 et 2015, le nombre de victimes a augmenté d’un tiers en Afrique, de 18 % dans la région Méditerranée et de 83 % en Europe. Dans ce dernier cas, l’augmentation spectaculaire est notamment due à une épidémie qui a touché l’Allemagne. Ce pays a en effet connu 2 464 cas de rougeole en 2015, après 433 en 2014, selon l’OMS. A titre de comparaison, la France en a enregistré 157 en 2015, contre 267 en 2014.

Atteindre toutes les populations

Pour Kamel Senouci, ces deux pays, comme d’autres aussi dans les économies avancées, connaissent des taux de vaccination trop faibles. Il est de 91 % pour le premier vaccin en France et de seulement 77 % pour la deuxième dose. « Pour pouvoir éliminer la maladie, il faut arriver à une couverture de 95 %. Si le nombre d’enfants ou de jeunes adultes vaccinés est trop faible, il suffit d’une personne atteinte par cette maladie virale, migrant, touriste ou salarié revenant d’une mission, pour que l’épidémie s’étende, », détaille Kamel Senouci.

Vaccination d'un enfant à Dacca, capitale du Bangladesh en 2015. | Photo : OMS

Comment expliquer ces différences dans les taux de vaccination, y compris dans les pays occidentaux ? De nombreuses personnes vivent hors du système vaccinal – migrants, populations défavorisées qui n’ont pas accès au système de santé, nomades, etc. –, d’autres refusent le vaccin – communautés religieuses, adeptes de médecines alternatives… Enfin, les personnes au système immunitaire déficitaire, comme les malades du VIH ou celles atteintes par certaines maladies génétiques, ne sont pas nécessairement protégées par la vaccination. « Alors que nous disposons des moyens pour éliminer la rougeole, il faut absolument que les gouvernements s’engagent plus encore à renforcer leur système de vaccination, qu’ils se donnent les moyens de toucher plus efficacement tous les secteurs de la population. Aucun enfant ne devrait plus mourir de la rougeole aujourd’hui », assène le docteur Senouci.