L’Afrique a été l’une des grandes absentes de la campagne américaine. Pour Donald Trump, le continent demeure une terra incognita, ses déclarations avant son élection se limitant à des propos xénophobes et à une promesse d’isolationnisme américain. Alors que de nombreuses inconnues subsistent quant à l’avenir de la diplomatie américaine, l’historien sénégalais Mamadou Diouf, directeur de l’Institut d’études africaines à l’université Columbia, à New York, tâche de dresser les grandes lignes de ce que pourrait être la politique africaine du magnat de l’immobilier devenu, mardi 8 novembre, président de la première puissance mondiale.

Quelle sera, selon vous, la politique africaine de Donald Trump ?

Mamadou Diouf Si l’on se fie à ses déclarations lors des primaires du Parti républicain et de la campagne présidentielle, Donald Trump n’a pas particulièrement tracé des perspectives claires pour les relations internationales. On pourrait dire que l’axe principal de son approche diplomatique est le désengagement de l’Amérique. Trump a l’air d’avoir une politique isolationniste et cela est renforcé par son refus de toute une série de traités de coopération régionale. Cela a fait son succès auprès des « petits Blancs », des travailleurs.

Des éléments structurels de la politique étrangère des Etats-Unis vont continuer. D’une part, en matière de ressource pétrolière, l’Amérique se tourne de plus en plus vers l’Afrique de l’Ouest. Le souci américain en termes de sécurité pour l’Afrique de l’Ouest va aussi continuer dans la mesure où cette région fait face aux Etats-Unis. Le reste va être beaucoup plus problématique parce que la politique étrangère de Donald Trump va être très chaotique. Ce chaos va préserver des îlots d’intervention mais, comme avec Barack Obama, l’Afrique ne tiendra pas un rôle très important.

Il faut donc s’attendre à un recentrage de la politique américaine sur ses intérêts prioritaires ?

Il va être intéressant de regarder comment la compétition avec la Chine autour des ressources africaines va influer la politique américaine en général. Cela ne se réglera pas par une intervention publique américaine, mais plutôt par le privé. Par exemple, en matière de démographie et de contrôle de la natalité, les fondations, et en particulier les organisations chrétiennes, vont jouer un rôle de plus en plus important par le biais des associations religieuses américaines en Afrique. Les institutions privées, religieuses, mais aussi le monde des affaires ont déjà pris le relais.

Donald Trump est entouré de personnalités qui s’intéressent à l’Afrique ?

Je n’en vois pas, mais des Américains d’origine africaine l’ont soutenu. Cependant, l’absence de personnalités ne veut pas dire qu’il y a une absence d’institutions et de mécanismes qui sont propres au système américain fonctionnant quel que soit le président. Par exemple, George W. Bush n’était pas très entouré de personnalités intéressées par l’Afrique pourtant, dans le domaine de la santé, il a mené l’une des politiques les plus abouties, en particulier pour la lutte contre le sida.

Si ses promesses isolationnistes sont tenues, Donald Trump ne sera t-il pas le meilleur allié des autocrates africains ?

Les autocrates se disent que Trump va effectivement être un allié, mais cet homme est extraordinairement imprévisible. Il va s’appuyer sur les lobbies africains présents dans le système américain qui ne sont pas toujours favorables aux autocrates. Donc, il n’est pas évident que Trump, même s’il a une vision de soutien aux autocrates, soit capable de la mettre en œuvre. Par exemple, Jimmy Carter n’a pas pu appliquer sa politique de défense des droits de l’homme parce que le système qui privilégiait la sécurité n’était pas capable de l’accepter.

Donald Trump a promis d’ériger des barrières douanières. Faut-il s’attendre à une remise en cause de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) qui offre à de nombreux pays africains des facilités pour entrer sur le marché américain ?

Tout est sur la table et cela va dépendre du rapport de forces entre les différents lobbies. Aujourd’hui, tout pourrait être remis en cause aussi bien que reconduit. Par exemple, Trump a toujours été contre l’Obamacare, mais il n’est pas évident qu’il parvienne à le démanteler. Trump s’est toujours appuyé sur cette extraordinaire propagande contre l’immigration clandestine, mais il est possible qu’il ne puisse pas aller plus loin que le président Obama, qui a expulsé plus d’immigrants clandestins que tous les autres présidents américains. Tout est négociable en ce moment, car les rapports de force entre Donald Trump et l’establishment du Parti républicain ne sont pas très clairs.

Si cet isolationnisme économique se confirme, est-ce que la Chine serait le grand bénéficiaire d’un repli commercial américain ?

C’est déjà le cas. Même si Hillary Clinton avait été élue, je ne crois pas que l’Amérique aurait été en mesure de gagner la compétition avec la Chine. Donald Trump a beaucoup parlé de la nécessité de reconstruire les infrastructures américaines. Mais c’est la Chine qui va bénéficier du marché américain, car elle a des possibilités techniques et technologiques que les Etats-Unis n’ont pas. En matière de transports, de construction d’infrastructures comme le chemin de fer, l’Amérique ne peut pas concurrencer la Chine. En Afrique, on peut se retrouver dans une situation où Donald Trump, même s’il prétend vouloir combattre les Chinois, devra faire affaire avec eux. La Chine a déjà damé le pion aux Américains et aux Européens en Afrique.

Sur le plan sécuritaire, pensez-vous qu’il maintiendra le partenariat avec la France dans la lutte contre les groupes djihadistes au Sahel ou le soutien à l’Union africaine dans la guerre contre les Chabab en Somalie ?

Cela dépendra du rapport de forces à l’intérieur de son administration. Je ne pense pas que sa démarche sera différente de celle de Barack Obama. Il va mettre l’accent sur des interventions ponctuelles. Aujourd’hui, aucun président ne peut intervenir et envoyer l’armée américaine quelque part. Donald Trump est un partisan du retrait, il pourra donc renforcer les interventions des forces spéciales et de la CIA, mais je ne pense pas qu’il pourra engager une intervention d’envergure. Par ailleurs, son regard sera plus porté sur le Moyen-Orient que sur l’Afrique. En Afrique, il pourrait renforcer les armées africaines et les forces spéciales américaines pour contrer celles de l’islam radical, mais je ne pense pas qu’il change totalement l’approche de Barack Obama. Il faut par ailleurs se souvenir que Trump a déclaré, y compris aux alliés traditionnels comme le Japon et l’Allemagne que, si l’Amérique intervient et les défend, ils paieront pour cela.

Barack Obama a déçu nombre d’Africains lors de sa présidence. A Dakar, où vous vous trouvez, Donald Trump inquiète ou fascine ? Y a-t-il des attentes précises à son égard ?

Les Africains ont souvent une idée de la politique américaine qui ne correspond pas à la réalité. Il y a eu un extraordinaire engouement après l’élection de Barack Obama avec l’idée qu’il serait presque le président de l’Afrique. Cela démontrait une méconnaissance totale du système politique américain et d’Obama en tant que politique. En dehors de ses discours du Caire et d’Accra, il n’a pas eu le temps d’avoir une vision de la politique américaine à l’égard de l’Afrique. Englué dans les questions intérieures, il n’a pas eu de grandes initiatives pour le continent. Aujourd’hui, avec Donald Trump, les gens sont plutôt angoissés à cause de ses déclarations contre les migrants clandestins. Changera-t-il la politique de Barack Obama ? Je ne le sais pas. Mais s’il le veut, il devra augmenter le nombre d’agents d’immigration. Je pense que Donald Trump va changer des choses, mais son mandat de quatre ans pourrait ne pas avoir d’impact réel sur la politique traditionnelle des Etats-Unis vis-à-vis de l’Afrique.

Election de Trump : « C’est une bonne nouvelle pour les présidents africains contestés »
Durée : 05:46

Au Sénégal, les gens qui ont des parents en Amérique sont inquiets. Mais, pour les nouvelles générations, les Etats-Unis ou l’Europe ne sont plus si importants. J’ai entendu, à la radio sénégalaise, des gens dire : « Ça, c’est de la politique américaine, nous, on règle nos problèmes nous-mêmes. » Nous sommes à la fin d’une période. On assiste au recentrage des Africains sur leurs propres affaires et aussi au retrait des Occidentaux d’Afrique, sauf pour les questions économiques qui sont souvent traitées hors du jeu politique. Et l’arrivée de la Chine permet aux Africains de faire jouer les rivalités.

Peut-on s’attendre à l’émergence de Donald Trump africains, des personnalités issues du monde des affaires et sans expérience politique ?

Il y en a déjà ! Le président du Bénin, Patrice Talon, élu en mars, est un Donald Trump africain avant l’heure. Sur ce point, les Africains ne suivent pas les Etats-Unis, ils sont devant !