Myriam El Khomri, à l’Assemblée, le 9 novembre. | ERIC FEFERBERG / AFP

Les quelque 4,6 millions de salariés employés dans de très petites entreprises, qui étaient invités à participer aux élections professionnelles du 28 novembre au 12 décembre, devront patienter quelques jours de plus pour s’exprimer. Jeudi matin, la ministre du travail, Myriam El Khomri, a diffusé un communiqué laissant clairement entendre que le scrutin allait être repoussé. Elle n’a pas donné de dates, se contentant d’indiquer que tout sera mis en œuvre pour qu’il ait lieu « dans les meilleures conditions et dans les meilleurs délais ». Le Haut Conseil du dialogue social va être réuni pour réfléchir à la mise au point d’un nouveau calendrier. Plusieurs scénarii sont à l’étude, dont l’un consisterait à différer à janvier le vote.

Cette décision, qui sort de l’ordinaire, complique singulièrement l’exercice. Le gouvernement est contraint de repenser le déroulement des opérations : changement dans le calendrier pour la location des locaux où seront dépouillés les suffrages, modifications à apporter dans la campagne de communication, etc. Le surcoût pour l’État pourrait se situer entre 2 et 3 millions d’euros, selon nos informations.

En outre, ce report engendre « un brouillage qui n’est pas idéal pour la compréhension de l’élection, celle-ci pâtissant déjà du fait d’être peu connue dans l’opinion », remarque une source au sein de l’exécutif. L’une des préoccupations du gouvernement était justement de tout faire pour que la participation électorale soit meilleure qu’au précédent scrutin dans les TPE en 2012 (10 % à l’époque).

« Au sens légal du terme »

L’idée de décaler le vote était envisagée depuis la fin octobre par le ministère du travail, à cause d’un imbroglio judiciaire. Il s’agit, en l’espèce, du contentieux lié à la participation du Syndicat des travailleurs corses (STC) au scrutin. Au printemps, la CFDT, la CFTC, la CGT et FO avaient saisi le tribunal d’instance du 15arrondissement de Paris afin d’obtenir l’annulation d’une décision de la direction générale du travail (DGT) qui avait jugé recevable la candidature du STC aux élections dans les TPE. Les confédérations trouvaient que cette organisation ne remplissait pas les critères pour pouvoir être considérée comme un syndicat professionnel, « au sens légal du terme ». Elles mettaient notamment en avant le fait que le STC milite pour la « “corsisation” des emplois », ce qui est contraire, selon elles, « au principe d’égalité et de non-discrimination ».

Le TI leur avait accordé gain de cause sur toute la ligne dans une décision rendue le 4 juillet. Il avait conclu que « l’objet » du STC « n’est pas licite », ce qui avait pour effet d’empêcher cette organisation de se présenter au scrutin.

Saisie par le STC, la Cour de cassation avait invalidé le jugement du tribunal d’instance, début septembre, et demandé que l’affaire soit réexaminée par la même juridiction, mais « autrement composée ». Le TI s’est donc à nouveau penché sur le litige et a rendu, le 4 novembre, un jugement qui donne raison au STC, cette fois-ci.

La date à laquelle le tribunal a tranché crée une difficulté. Car si sa décision est contestée devant la Cour de cassation, celle-ci ne pourra se prononcer qu’après le début des opérations de vote, assure-t-on dans l’entourage de Mme El Khomri. Or, on ne peut pas exclure que la haute juridiction invalide le jugement du TI, ce qui remettrait en cause la candidature du STC, alors que les salariés auraient commencé à s’exprimer. Le scrutin risquerait, dès lors, d’être annulé, complète-t-on au cabinet de Mme El Khomri.

Recours de la CGT

Toute la question était de savoir si les confédérations syndicales allaient former un pourvoi en cassation contre le jugement du 4 novembre. FO et la CFDT ont jeté l’éponge. La CGT, elle, a fait le choix inverse, mercredi. « Les pressions du gouvernement n’y changeront rien », a-t-elle précisé, dans un communiqué, en faisant allusion au fait que « l’exécutif agite la menace d’un report des élections TPE du fait de ce recours ». Pour la centrale de Philippe Martinez, il s’agit « d’aller jusqu’au bout de son légitime combat contre les discriminations » : « Nous ne pouvons pas laisser passer un jugement [celui du 4 novembre] qui affirme que ce n’est pas un problème de tenir des propos discriminants ou de revendiquer des mesures discriminantes du fait de l’origine. »

Autre argument invoqué par la CGT : la Cour de cassation pourrait statuer avant le début du scrutin, contrairement à ce que soutient le gouvernement. Un précédent existe, fait-elle valoir : en 2012, lors des précédentes élections dans les TPE, la Cour de cassation s’était prononcée sur un contentieux du même type en un temps record (dix-sept jours après la décision de première instance) de manière à ce que son arrêt tombe avant les opérations de vote. « Les délais peuvent donc être tenus si la volonté de toutes les parties est réelle », plaide la CGT. La ministre du travail, dans le communiqué qu’elle a diffusé jeudi, pense, au contraire, que ce n’est pas réalisable.