La rue agitée de Kangemi, où Scholastica tient son stand. | Matteo Maillard

Chaque soir, quand le soleil se couche sur Nairobi, le bidonville de Kangemi s’illumine. Le ciel violet laisse place au sodium orangé de l’éclairage public, au bleu des lampes anti-moustiques, au jaune pâle d’une flamme de kérosène, au blanc tungstène des ampoules à incandescence et, désormais, à l’éclat moins aveuglant du solaire.

Présentation de notre série : Traversée d’une Afrique bientôt électrique

La rue est moite, agitée. Les enfants jouent au football contre les murs. Les travailleurs rentrent à la maison et les commerçants en profitent pour ouvrir leurs échoppes, déployer leurs étals. Quartiers de bœuf, légumes luisants, beignets humides ou poissons capitaine. Comme ceux que Scholastica Tienow retourne et fend de son couteau. Le geste est plus précis depuis que les vapeurs de sa lampe à pétrole ne l’étourdissent plus.

Pas d’électricité courante la journée

Il y a quatre mois, pour la remplacer, la poissonnière a acheté un kit solaire à l’entreprise américano-kényane M-Kopa. Cette version basique du kit comprend un panneau photovoltaïque, une batterie de 8 W, deux ampoules, une radio, un chargeur de téléphone et une torche. Elle utilise cette dernière pour éclairer son étal d’une lumière claire et désormais inoffensive. C’est la marchande de tomates, de l’autre côté de la rue, qui lui a mis la puce à l’oreille. « J’ai vu qu’elle n’utilisait plus sa lampe tempête mais avait une torche électrique, raconte Scholastica. Elle m’a dit qu’elle s’éclairait avec le soleil. » Quelques jours plus tard, elle aussi installait un panneau photovoltaïque non loin de son étal, sur le toit de sa maison, où elle nous reçoit aujourd’hui dans un salon rempli d’enfants qu’éclairent les ampoules du kit.

A 55 ans, Scholastica a trois fils, trois filles, et une poignée de petits-enfants qui regardent « Bob l’éponge » sur la télévision du salon. « A Kangemi, la plupart des maisons sont raccordées au réseau électrique national, explique-t-elle. Mais les coupures et les délestages sont réguliers. Dans notre maison, nous n’avons pas de lumière la journée, car notre propriétaire coupe l’électricité de 6 heures du matin à 18 heures. » Scholastica et son mari, ouvrier temporaire dans le bâtiment, paient 5 000 shillings (44 euros) de loyer, l’électricité étant comprise par le contrat de bail, mais limitée.

A cause des coupures régulières, les devoirs des enfants devaient être faits aux derniers rayons du soleil devant la maison pour éviter qu’à l’intérieur la lampe à kérosène ne les fasse tousser et noircisse les murs. Une des raisons qui l’a conduite, à l’instar de 14 % des Kenyans, à opter pour le solaire, quand 56 % de la population utilise encore le kérosène, les piles et les bougies comme sources principales de lumière, les autres étant raccordés au réseau électrique.

Un technicien de M-Kopa vérifie l’état du kit solaire de Scholastica. | Matteo Maillard

Pour obtenir son kit, elle a dû verser un acompte de 3 000 shillings à M-Kopa et doit leur envoyer sur la durée d’une année 50 shillings (0,44 euro) par jour via M-Pesa, un système de transfert d’argent par SMS extrêmement populaire au Kenya. Une somme qu’elle peut payer en avance, 350 shillings par semaine ou 1 500 par mois. Scholastica, qui gagne 3 000 shillings par jour, n’a pas de difficulté à payer. « Après un an, le panneau solaire et tous les objets connectés m’appartiendront, explique-t-elle. Je pourrai en faire usage librement. » Le kit ainsi remboursé lui reviendra au final à 21 250 shillings (188 euros). « Sur le long terme, cela me coûtera bien moins cher que l’utilisation du kérosène ou du courant. » Environ 3 500 shillings de moins qu’une année de kérosène, selon M-Kopa. Après avoir payé son matériel, elle pourra choisir de contracter d’autres microcrédits auprès de M-Kopa pour obtenir de nouveaux produits : un réservoir d’eau, des plaques de cuisson, un smartphone ou un système de 20 W avec une télé solaire.

Système de microcrédits

C’est grâce à ce système de microcrédits que M-Kopa s’est rapidement implanté dans les foyers africains. L’entreprise affirme connecter 500 nouveaux foyers quotidiennement au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda, soit 375 000 depuis son lancement en 2012. Nombre que l’entreprise prévoit de porter à un million d’ici la fin 2017. Sa stratégie d’implantation privilégie les villages et les quartiers où le réseau national d’électricité est inexistant ou mal entretenu. Comme dans le comté de Busia, à l’extrême ouest du Kenya, d’où est originaire Scholastica.

« Dans mon village, personne n’a de lumière, d’électricité ou de télévision », lance-t-elle en préparant sur la table du salon le quill, légume proche de l’épinard qui accompagne l’ugali, plat national à base de farine de maïs. « Ce que je voudrais, c’est offrir à ma famille l’un des grands kits avec la télévision solaire, peut-être des plaques de cuisson électriques aussi. » Elle laisse s’étouffer un silence couvert par le dessin animé des petits. « Je serai heureuse de pouvoir leur apporter un peu de lumière. »

Depuis que Scholastica s’est débarassée des lampes kérosène, ses petits-enfants ne toussent plus. | Matteo Maillard

A l’occasion de la COP22 qui se déroule à Marrakech du 7 au 18 novembre, Le Monde Afrique a réalisé la série Traversée d’une Afrique bientôt électrique en allant voir, du Kenya au Maroc, en passant par le Burkina, la Côte d’Ivoire, le Cameroun ou le Sénégal, l’effort d’électrification du continent.

Le sommaire de notre série Traversée d’une Afrique bientôt électrique

A l’occasion de la COP22 qui se déroule à Marrakech du 7 au 18 novembre, Le Monde Afrique a réalisé une série d’une vingtaine de reportages qui vous emmèneront au Kenya, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Sénégal et au Maroc pour découvrir l’impact d’un effort d’électrification du continent sans précédent.