Marine Le Pen, réagi à la suite de l'élection de Donald Trump à la présidentielle américaine, au siège du Front national à Nanterre, mercredi 9 novembre 2016. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH-POLITICS POUR LE MONDE

Marine Le Pen, présidente du Front national et candidate à la présidentielle de 2017, fait partie des rares représentants politiques français à soutenir Donald Trump. Notre journaliste chargé du suivi de l’extrême droite, Olivier Faye, a répondu à vos questions sur les répercussions de l’élection de Trump aux Etats-Unis pour le FN.

Benoît : Dans quelle mesure la stratégie de Trump à l’égard des électeurs des anciens bassins miniers et industriels peut-elle être rapprochée de celle de Marine le Pen à l’égard des habitants du nord et de l’est de la France ? La perte de l’électorat ouvrier par les gauches américaines et françaises conduit-elle mécaniquement à la victoire des populistes d’extrême droite ?

Olivier Faye : Bonjour, merci pour vos questions. Cela fait déjà un certain nombre d’années, avant même que Marine Le Pen ne devienne présidente du FN, qu’une partie de l’électorat ouvrier se tourne vers l’extrême droite en France : on parlait déjà d’ouvriéro-lepénisme dans les années 1990. Mais en s’implantant dans le bassin minier du Pas-de-Calais, en 2007, et en adoptant un discours centré sur la défense des classes populaires et des victimes de la mondialisation, elle a braqué les projecteurs sur cette question. En ce sens, la stratégie de Trump de s’adresser aux « cols bleus » est comparable. Mais la perte de l’électorat ouvrier pour la gauche n’est pas neuve en France. Et pour partie, ceux qui ont rejoint Marine Le Pen aujourd’hui venaient… de la droite.

Tibo : Est-ce que les idées et la politique de Marine Le Pen sont vraiment en accord avec le programme présenté par Donald Trump ?

Olivier Faye : Il y a plusieurs raisons pour lesquelles Marine Le Pen se réjouit de voir Donald Trump élu aux Etats-Unis. Le libre-échange, tout d’abord : comme elle, il est opposé à sa promotion et s’est montré hostile durant la campagne au Tafta, le traité de libre-échange en cours de négociation entre l’Union européenne et les Etats-Unis. Ensuite, il n’a pas caché sa volonté de dialoguer avec la Russie de Vladimir Poutine, en particulier pour tenter de résoudre le dossier syrien, dans lequel Bachar Al-Assad doit être, selon lui, un interlocuteur : c’est aussi la position défendue par Marine Le Pen. Enfin, il défend une conception multipolaire des relations internationales, où prédomine l’intérêt national. C’est aussi le cas de la présidente du FN.

Léa : Les instituts de sondage américains (et les médias traditionnels) ont en grande partie échoué à saisir la magnitude de l’engouement pour D. Trump. Un tel scénario est-il possible vis-à-vis de l’extrême droite en France ?

Olivier Faye : Les sondeurs français ont déjà connu une débâcle similaire avec le 21 avril 2002, quand on leur a reproché de ne pas avoir vu venir la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle. Depuis, ils ont adapté leurs outils pour tenter de corriger d’éventuelles sous-déclarations des intentions de vote en faveur du FN. Mais c’est avant tout l’analyse qui est faite des sondages – par la classe politique ou les médias – qui doit être au cœur des préoccupations. La victoire de Donald Trump et celle du Brexit, au Royaume-Uni, constituent à ce titre un avertissement, que tout le monde semble intégrer aujourd’hui : tout est possible, d’autant qu’il reste plus de cinq mois d’ici au premier tour de la présidentielle.

Mathias : Bonjour Olivier Faye, Donald Trump a fait référence au Brexit ou à Vladimir Poutine pendant sa campagne mais a-t-il évoqué, dans une déclaration ou une interview, Marine Le Pen et/ou le Front national ? Existe-t-il des contacts entre les entourages de Trump et Le Pen ? On sait ce qu’elle pense de lui, mais sait-on ce qu’il pense d’elle ?

Olivier Faye : A ma connaissance, Donald Trump n’a pas exprimé de sympathie ou de rejet quelconque envers le Front national et Marine Le Pen. Pendant la campagne, la présidente du FN ne s’est pas rendue aux Etats-Unis, au contraire de Geert Wilders, président du PVV aux Pays-Bas, et allié du FN au Parlement européen, qui a assisté à la convention républicaine en juillet, à Cleveland. En revanche, le député européen frontiste Bernard Monot a rencontré le président de la Chambre des représentants, Paul Ryan. Et le responsable des relations internationales du FN, Ludovic de Danne, a accompagné une délégation du groupe frontiste au Parlement européen à New York, mardi, pour soutenir Donald Trump. En tout cas, il est certain que Marine Le Pen serait ravie d’être reçue à la Maison Blanche au cours de la campagne présidentielle française.

Niko : Bonjour, qu’entendez-vous par « conception multipolaire des relations internationales » ?
C’est-à-dire des relations d’Etat à Etat, sans passer par l’intermédiaire d’instances supranationales.

Matthieu : Bonjour, la victoire de Trump peut-elle pousser Marine Le Pen à se « re-diaboliser » ? La campagne de Trump ayant en effet été marquée par l’outrance, l’excès, etc.

Olivier Faye : Très bonne question ! C’est en tout cas la thèse de Jean-Marie Le Pen : le FN ne progresserait pas « grâce » à la dédiabolisation mais « malgré » elle. Au lendemain de la victoire de Trump, il a plaidé pour que Marine Le Pen sorte de la posture de rassemblement « apaisée » qu’elle tente de tenir depuis plusieurs mois. Il semble peu probable que la présidente du FN s’engage dans cette voie : sa personnalité et son parti suscitent du rejet, et c’est précisément ce point qui, selon certains frontistes, a empêché le parti de gagner au second tour des élections régionales en 2015. Le système politique français à deux tours suppose de réussir à dépasser les clivages, et c’est à cette tâche que le FN s’attelle.

alex : Il est probable que Marine Le Pen se serve de l’élection de Donald Trump pour galvaniser ses troupes et mobiliser les électeurs actuels. Cependant, pensez-vous possible que la base de son électorat puisse encore s’étendre à la suite de cet événement ?

Olivier Faye : C’est son pari, et c’est pour ça qu’elle se multiplie dans les médias et sur Internet pour tenter de profiter du souffle créé par la victoire de Trump. Dans son esprit, l’élection de Trump crée un précédent censé rassurer l’électorat. Elle semble dire : puisque les Etats-Unis se sont dotés d’un président populiste, au discours protectionniste et nationaliste, pourquoi les Français ne feraient pas de même ?

Samira : Marine Le Pen partage-t-elle les mêmes idées que Trump concernant le rejet des musulmans et leur interdiction d’entrée ? Le taux de musulmans aux USA est approximativement de 0.8 % alors qu’en France il avoisine les 6 à 7 %… Cela semble plus difficile de tenir le même discours que Trump en France, concernant la communauté musulmane, non ?

Olivier Faye : C’est une vraie différence entre Marine Le Pen et Donald Trump. Il a dit vouloir interdire d’entrée les musulmans sur le territoire américain ; elle assure, de son côté, que l’islam est « compatible » avec la République française, quitte à prendre une partie de son camp, farouchement anti-islam, à rebrousse-poil. C’est en partie pour cela que Marine Le Pen a mis du temps à soutenir ouvertement Donald Trump, car elle avait peur d’être diabolisée en France. « Je défends tous les Français, quelle que soit leur religion », répondait-elle, en décembre 2015, quand on la comparait à Trump. Pour autant, son succès se fonde aussi sur le rejet de l’islam qui peut exister en France, et son entourage, comme elle-même, n’hésite parfois pas à souffler sur ces braises.