Des détracteurs de Donald Trump près de la tour du milliardaire, sur la Ve Avenue, à New York, mercredi. | MANDEL NGAN / AFP

Ceux-là n’ont pas écouté les appels de Barack Obama à respecter le résultat des élections. Ils n’ont pas non plus été convaincus par le ton de « président de tous les Américains » adopté par Donald Trump après sa victoire. Accrochés à un échafaudage en face de la Trump Tower, sur la Ve Avenue à New York, ils s’époumonent : « Not my president ! », « Not my president ! ». Donald Trump n’est pas leur président, et ils entendent le faire savoir, au mépris de l’atmosphère conciliatrice recommandée par les officiels – et par Hillary Clinton – au nom de la « transition pacifique » exigée par la démocratie américaine.

Mercredi soir 9 novembre, vingt-quatre heures après le coup de tonnerre de la victoire de Donald Trump, ils sont plusieurs milliers qui bloquent la circulation sur la prestigieuse avenue, vitrine du luxe new-yorkais. La police a monté des barrières pour canaliser la manifestation mais elle laisse faire. La tour Trump est sombre, mis à part quelques fenêtres éclairées. C’est là que travaille l’équipe républicaine qui prépare la passation de pouvoirs en janvier.

« Plus personne pour nous défendre »

Depuis plusieurs heures, les protestataires – jeunes dans leur immense majorité – font le siège de la résidence du milliardaire. Les slogans n’ont rien à envier à ses écarts de langage de campagne électorale. « Fuck Donald Trump ! », crie l’un. « Fuck Mike Pence ! » (son colistier), ajoute un autre, pour ne pas faire de jaloux. Les filles scandent le désormais classique « Pussy grabs back », une référence à la vidéo où Donald Trump se vante de mettre la main aux fesses (« grab ») de qui bon lui semble.

La manifestation a commencé par un appel de l’association progressiste MoveOn.org à tenir un rassemblement à Columbus Circle, pour partager « la colère et le deuil » après l’élection de Trump, et se préparer à entrer en résistance « pour combattre la haine ». Elle s’est métamorphosée en occupation spontanée du parvis de la Trump Tower et les étudiants ne cessent d’affluer, pancartes à la main : « Protégeons-nous les uns les autres », « Engageons-nous à résister », « Nous rejetons le président élu ».

« Ce que l’on voit dans la rue, c’est la rébellion Sanders, et la rébellion Black Lives Matter », explique Van Jones, fondateur de l’organisation antiraciste Color of Change

Des manifestations comparables ont lieu au même moment dans une demi-douzaine de grandes villes américaines : Oakland, Los Angeles, Chicago, Portland, Philadelphie, Boston, Austin… Dans tout le pays, Latinos, Noirs, syndicalistes, militants associatifs défilent pour faire part de leurs craintes. Du jamais-vu, selon la presse, au lendemain d’une élection présidentielle. « Ce que l’on voit dans la rue, c’est la rébellion Sanders, et la rébellion Black Lives Matter [« les vies noires comptent »] », explique Van Jones, fondateur de l’organisation antiraciste Color of Change, devenu le héros du mouvement « Not my president ! » pour avoir été l’un des rares à insister sur la dimension raciale de la victoire de Trump, acquise grâce à l’exceptionnelle mobilisation des Blancs.

Sur CNN, Van Jones a parlé de « whitelash », une compilation de « backlash » (retour de bâton) et « white » (blanc), un néologisme qui a fait le tour des réseaux sociaux. Selon les sondages de sortie des urnes, les moins de 30 ans ont très majoritairement voté contre Trump (55 % ont choisi Hillary Clinton). Pour eux, la situation est grave, la menace sans précédent. A côté de l’abattement de l’establishment démocrate, leur énergie éclate. « Nous sommes en colère ! Et nous ne nous tairons pas, s’exclame Yuting, 28 ans. Ils ont tous les pouvoirs. Ils vont faire tout ce qu’ils veulent. »

April, 19 ans : « Il faut qu’on fasse quelque chose. Il n’y a plus personne pour nous défendre. Plus personne pour défendre qui que ce soit. Il n’y a plus que des hommes blancs et riches. » Avec son amie Sara, étudiante à la New York University, elles ont « pleuré toute la journée » et séché les cours avant de se fabriquer des affiches. « Non au fascisme », a écrit Sara, une fidèle de Bernie Sanders qui croit, comme beaucoup, que le sexisme n’a pas été pour rien dans la défaite d’Hillary Clinton. « Les e-mails, d’accord. Mais si elle avait été un homme, elle aurait gagné. »

Bénéfice du doute

Peter Baker, un photographe de 39 ans, intervient : « Mais elle a gagné le vote populaire ! Il est temps qu’on ait un débat dans ce pays sur le collège électoral. Pourquoi continuer à accepter que l’élection soit décidée par un petit nombre de comtés dans un petit nombre d’Etats ? » Lui aussi était un partisan du sénateur du Vermont. « Bernie aurait eu le dessus sur Trump », pense-t-il. Après s’être tu, parce qu’il n’avait, selon un de ses conseillers, « rien de poli » à dire sur le résultat de l’élection, Bernie Sanders a publié mercredi un communiqué dans lequel il affirme être prêt à travailler avec le président élu s’il essaie « sérieusement » d’améliorer la vie des gens. Mais s’il entend poursuivre « une politique raciste, sexiste, xénophobe et hostile à l’environnement, nous nous opposerons à lui vigoureusement ».

Molly, 24 ans, est « désespérée pour les minorités », mais elle est d’accord avec Bernie Sanders pour donner à l’occupant de la Trump Tower le bénéfice du doute, selon la ligne de conduite adoptée par les progressistes. Elle n’a toutefois pas été rassurée par les informations qui circulent sur la composition du cabinet de Donald Trump : « Giuliani, Newt Gingrich… Il va ramener tout l’establishment d’extrême droite ! Il faut montrer qu’on n’est pas d’accord. »

Les manifestations anti-Trump se multiplient
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